Charles Perrault chez le psy Jeunes filles, méfiez-vous du bzou !
Thierry Delcourt et Jean-Jacques Rossbach ont réécrit à leur manière l'histoire ambiguë du Petit Chaperon rouge. On ne nous aurait pas tout dit ?
IL y avait la version
de Charles Perrault en France, puis celle des frères Grimm en Allemagne… Faudra-t-il y ajouter celle du Marnais Thierry Delcourt qui vient de publier un curieux bouquin, un livre-chevalet,
illustré par le peintre ardennais Jean-Jacques Rossbach ? Pourquoi pas…
Son Petit Chaperon rouge à lui n'a pas rencontré un loup mais un bzou ! Cette petite curiosité linguistique a pour effet de bien nous remettre dans l'ambiance médiévale des origines du fameux
conte ; période obscure et superstitieuse pendant laquelle on n'appelait pas leur nom les choses qui faisaient peur. Ainsi, le loup était le bzou !
Thierry Delcourt a donc réécrit le Petit Chaperon rouge en y mettant les mots qu'il voulait et en ne parlant jamais de loup mais de bzou. Et pour ce psychiatre, pédopsychiatre et psychanalyste
bien connu pour ses travaux littéraires sur les ressorts créatifs de l'artiste (Au risque de l'art, 2007, éditions de L'âge d'homme), les mots ont évidemment un sens.
La notion de sexualité
« C'est un conte de la tradition orale du Moyen Âge qui servait à avertir les petites filles des dangers qui les guettaient », explique Thierry Delcourt. Ce qui n'est pas perceptible pour les
enfants, c'est - dans les différentes versions du conte - la notion de sexualité. Perrault prévenait, mais seulement dans la « moralité » finale (rarement lue aux enfants !), que les jeunes
filles étaient des proies potentielles et qu'elles devaient se méfier des beaux parleurs.
Une façon comme une autre d'inciter les jeunes filles à garder leur pucelage jusqu'au mariage. Les frères Grimm, eux, n'avaient pas expressément repris cette moralité.
Thierry Delcourt a totalement réécrit l'histoire mais a légèrement souligné l'ambiguïté latente du conte de Perrault.
D'abord, la mère… Mais qu'a-t-elle pour envoyer avec tant d'empressement sa fille porter à manger à sa grand-mère malade en lui faisant traverser la forêt ? Quelle imprudence coupable !
L'auteur se contente de le suggérer en écrivant : « Jamais, ô grand jamais, la fillette n'avait vu sa mère à ce point apprêtée. Qu'elle était belle ! Mais pour qui, pour quoi ? » Avait-elle un
rendez-vous urgent ?
D'un autre côté, Thierry Delcourt ne bêtifie pas non plus devant cette gamine toute de rouge vêtue, et trop naïve, qui lie conversation avec cet immense bzou puant rencontré à la croisée des
chemins et qui lui confie complaisamment tout de sa destination et du chemin pour y parvenir. « Cette petite sotte ! Cette petite écervelée », pense le bzou.
Pas encore digérées
Ambiguïté encore dans l'épisode où la petite fille, n'ayant pas vu que le loup s'était déguisé en grand-mère (était-elle myope à ce point ?), se glisse dans le lit : « La petite s'était lovée,
menue, dans les bras du bzou. D'étranges sensations s'emparaient d'elle. Corps étonné, moite et tremblante, elle sentait poindre la nausée. »
« Mais cela reste lisible par les enfants », rassure le pédopsychiatre, qui a d'ailleurs repris plus ou moins la fin optimiste des frères Grimm dans laquelle un chasseur passant par là ouvre le
ventre du loup et libère la petite-fille et la grand-mère… pas encore digérées !
Pour sa part, Jean-Jacques Rossbach, plutôt coutumier d'une abstraction aux couleurs explosives, s'en est donné à cœur joie et pour une fois est revenu à la figuration.
Mais la façon « graffitis » dont il a représenté le bzou gueule ouverte et la petite fille perdue dans la forêt, les bras au ciel, dédramatise le propos et, paraît-il, exerce une vraie
fascination sur les enfants à qui l'on lit l'histoire en tournant lentement les pages.
Finalement, rien n'a changé depuis des siècles !
Patrick FLASCHGO
« Rouge, noir : le chaperon rouge et le bzou » par Thierry Delcourt et Jean-Jacques Rossbach (48 illustrations). Livre-chevalet format 15 x 31 cm, reliure à spirale. Disponible chez Arch'Libris.
30 euros.