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THIERRY DELCOURT

THIERRY DELCOURT

CARREFOUR ENTRE ART, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE. Recherche sur le processus de création et la capacité créative dans le soin et l'existence


Colette Deblé, entre appropriation et subversion

(extrait de Artiste féminin singulier)

 

……………En inscrivant leur création dans une quête autre de leur être féminin et, pour ce faire,  en puisant dans l’histoire des femmes une richesse dont celles-ci pourraient enfin assurer une transmission libérée du joug phallique traditionnel, certaines artistes explorent une possible réappropriation existentielle usant de tout ce qui est et a toujours été à disposition des femmes sans qu’elles en osent la valorisation : un art transmis et inventé de la parole, du chant, de la poésie, de la danse, de l’embellissement, de l’ouvrage fin, de comment accommoder les bébés… et le lapin… bref, de tout ce qui fait la vie et l’art de la vie. Comme disait Robert Filliou, « L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». Cette prise de conscience des femmes et l’efflorescence de la recherche artistique permettent progressivement de nouer des valeurs essentielles aux références culturelles et artistiques qui peuvent ainsi se détacher du prestige phallique et de l’œuvre géniale signée par le démiurge…

 

20090903 severine3-f0f16..….Colette Deblé dessine et peint ; elle y a trouvé un mode d’existence où l’expression lui est plus aisée que dans la parole qu’elle redoute. Depuis près de deux décennies, elle trace avec une ténacité obsédante une histoire en dessins, peintures et lavis de la représentation picturale de la femme. Elle s’exprimait à ce sujet en 1990, au début de cette aventure qu’elle dit interminable :

" A-t-on jamais tenté d’explorer par les seuls moyens plastiques l’histoire de l’art ou l’un de ses aspects, comme le font l’historien ou l’essayiste à l’aide de l’écriture ? Mon projet est de tenter à travers une infinité de dessins, de reprendre les diverses représentations de la femme depuis la préhistoire jusqu’à nos jours afin de réaliser une analyse visuelle des diverses postures, situations, mises en scène. La citation picturale ne saurait être une citation littérale comme est la citation littéraire, parce qu’elle passe par la main et la manière du citateur. Mon projet explore ce ‘tremblé’ parce qu’il suppose un exercice extrêmement long de la citation vers son usure et sa fatigue. En fait, poursuivant ce travail jour après jour, c’est une sorte de journal intime quotidien à travers l’histoire de l’art que je poursuis. J’ai souvent éprouvé la violence de la durée, à la pensée que ma mère avait expulsé ma fille à travers moi comme l’histoire de l’art pousse sa continuation à travers chaque artiste. Mon projet est de visualiser cette poussée à travers le travail patient et ambigu de la citation parce qu’il gomme et souligne à la fois le geste personnel : tous ces dessins sont un long chemin que je jalonne d’autoportraits devant la fenêtre, non pour signer, mais pour donner des repères à l’effet du travail. »………………..

 

Reconnue par ce travail, elle s’y reconnait à part entière même si son œuvre picturale et littéraire ne se résume pas à cette grande épopée. Elle en parle lors de nos rencontres :

« Extraire une silhouette du tableau, de son contexte, est violent. Mon cauchemar du visage montre bien que dessiner, c’est violent ; il faut choisir entre la lumière et l’ombre, dire ou ne pas dire, il faut trancher. Le gouffre est trop profond pour que je m’arrête, et même en m’assassinant, je continuerais. Cette énergie, toujours présente pour faire de la peinture, j’ai essayé de la dire dans Quelque Chose de Très Doux, comme la sève qui monte dans les arbres, comme le foutre dans l’amour – inépuisable – je peins pour moi, même si je doute. Je n’aime pas ce que je fais mais je continuerai à le faire. Je n’aime pas mais je me rends compte qu’avec le temps, la présence est là. Et peut-être que c’est important, dix-neuf ans de ces représentations de femmes et cela continue encore et encore. Je suis une femme qui travaille sur les représentations de femmes mais ce n’est pas un travail féministe : ce qui reste des femmes, c’est le regard des hommes et au bout de toutes ces années, ce que je peux affirmer, c’est que les hommes aiment les femmes. J’ai encore tout à faire, à rendre hommage aux femmes sans qui nous ne serions pas là. Je découvre toujours des représentations que je fais vivre, renaître, mourir.»…………….

 

            Colette Deblé remonte à une source par cet insistant travail attaché à l’histoire de la femme à travers sa représentation. Elle y a trouvé son puits artésien, foré jusqu’au plus profond, en s’inscrivant dans une chaîne qu’elle travaille à la découpe ou mieux, une voie lactée, belle métaphore de la transmission des femmes. La première voie qu’elle avait intuitivement trouvée lui avait permis de s’extraire d’une soumission à un destin de fille pour sa mère et pour les hommes : ‘Il fallait que je pense comme un homme’ pour lutter.

Mais comment pense un homme ? L’ordre et les faits insistants donnent l’illusion que celui-ci aurait quelque chose de plus qui l’autoriserait à penser autrement, mais, à vouloir saisir ce ‘plus’, il apparaît à l’évidence d’abord angoissante mais finalement libératrice, que ça n’a pas de réelle consistance. Cette prise de conscience était nécessaire à Colette Deblé………….

 

………..Elle ajoute lors de notre entretien : « Qu’est-ce qui va rester de ma mère ? Rien. Et qu’est-ce qui reste des femmes ? Rien’. Donc, j’ai voulu une représentation plastique des femmes dans l’histoire de l’art, dans l’histoire. »

Colette Deblé est la baleine qui crache, le puits artésien. Elle évoque son travail :

« Je suis le tremblé entre la référence et ma silhouette, je déchire à la main l’intissé tout coton que je contrecolle en double épaisseur ; et ces formes de femmes sont accrochées sans cadres, en apesanteur, en toute plénitude ; à mon âge, je ne supporte plus les femmes cadrées : femmes de, mère de, fille de… J’ai toujours eu besoin de m’abstraire des contraintes matérielles. Je parviens à exister à cette condition et malgré moi. Dans mon atelier, j’arrive volontariste et prête à peindre et c’est la peinture qui me met dehors quand, à la fin, c’est saturé ; c’est donc la matière qui impose la fin. Il y a parfois le ressenti d’un malaise et je me sens bloquée ; alors, je commence autre chose et j’ai donc besoin de plusieurs chantiers à la fois. J’essaie de retrouver l’espace de la ferme où le déplacement changeait les activités. Tout cela est sans fin et il n’y a que de la jubilation. »……………..

 

© Thierry Delcourt

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