(petit extrait de Au risque de l'art...)
......................Vladimir Velickovic est de ceux qui tracent avec insistance les marques laissées par ces fractures dans la civilisation et cherchent à en cerner la fissure originaire. Vladimir Velickovic avait cinq ans lorsque son pays, déjà marqué par des déchirements, a connu le début de souffrances profondes avec l’occupation allemande :
‘Mon enfance a été marquée par les évènements de 41 à 45. Nous étions confrontés à des situations et à des images terribles présentes quotidiennement. L’occupation allemande a été très dure. La Serbie s’est soulevée sept fois en 41. La répression en a été d’autant plus dure et plus massive. Les soulèvements, la résistance de Tito et l’armée de libération ont permis que nous ne soyons jamais complètement dominés par les allemands. J’étais obsédé par le coté dramatique et la mort. Il y a un détail important : j’ai vu en fuyant dans le centre de Belgrade des gens pendus aux candélabres. Ma mère me disait qu’il ne fallait pas regarder cela. On était en train de fuir avec un chariot. C’était l’exode…………
...............Je ne me suis pas inspiré, c’est l’histoire qui s’est invitée dans mes tableaux. Moi, j’ai ensuite puisé dans la riche documentation de l’époque : journaux et témoignages.’
Cet extrait de l’entretien dit ce qui s’est imposé dans la création de Vladimir Velickovic. Il fut le témoin imprimant le traumatisme au cœur de son enfance, entre cinq et dix ans. Il ne pouvait qu’être marqué par des images traumatiques qui ont gravé leur empreinte obsédante dans son expression graphique et picturale.
Ses compositions ne reviennent pas inlassablement sur Belgrade occupée, car il a ouvert son regard et sa pensée à une dimension humaine, sociale et culturelle plus générale, mais elles en portent la trace inscrite de manière indélébile.
Lorsqu’il a exposé à Belgrade en 2004, il constata qu’il était dans son propos en phase complète avec le public touché par sa création car marqué à nouveau par des souffrances au moins aussi traumatiques, écrivant en lettres de sang cette répétition sur le support mal effacé d’un palimpseste de l’horreur :
‘Cette troisième guerre a tracé un chemin parallèle avec ce que je réalisais dans mon travail. On peut dire que la guerre s’est inspirée dans mes tableaux comme un dialogue cruel. Moi, j’ai continué, plus convaincu encore de ce que j’avais à exprimer.’
Messager des terreurs collectives, Vladimir Velickovic venait juste à ce point de répétition et de rupture dont les peuples peuvent ne pas se relever.
L’œuvre porte en elle le message du traumatisme collectif et le traumatisme psychique de l’individu aux prises avec l’insoutenable image, le risque de mort, la perte de repères et un vécu de rescapé. Vladimir Velickovic a pu transmettre, comme témoin privilégié catalysant sa propre souffrance, son premier regard sur l’inhumanité, la mort et la dislocation……….
..............Certains tableaux de Vladimir Velickovic se limitent à représenter, dans une profondeur obscure dont la densité renforce l’intensité dramatique, un simple trait rougeoyant diffusant en vapeur éclairante.
Cette marque rouge, puissamment mise en scène, permet un saisissement où chaque regardeur va installer son drame. Tout est dit et senti à travers cette composition pour celui qui ne fuit pas le tableau, en général de grand format pour en dramatiser l’impact.
Mais une fuite est-elle possible face à cette fente incandescente, ouvrant furtivement la blessure du monde, sur son origine et sa fin, que le fond obscur oblige à regarder ?
Vladimir Velickovic l’évoque lors de notre rencontre :
‘Il ne faut pas être encombré de trop de choses pour rendre une efficacité poignante… L’image est à tel point ancrée (encrée) en moi qu’elle devient exclusivement un problème de peinture. Il s’agit de la rendre avec les moyens que j’ai, et la rendre la plus efficace possible.’
Le travail de l’artiste, ce qu’il appelle son efficacité, vise à universaliser ses représentations dans une atemporalité et un refus du narratif, de l’évènementiel et de l’intrusion de son drame individuel. La source dramatique n’est pas niée, mais contenue dans la force expressive d’une fente rougeoyante sur un fond noir, où densité, texture, nuances et composition fascinent par leur simple efficacité.................
© Thierry Delcourt