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THIERRY DELCOURT

THIERRY DELCOURT

CARREFOUR ENTRE ART, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE. Recherche sur le processus de création et la capacité créative dans le soin et l'existence


TROP PETITE LA SCENE ? TUNNEL DES 50 AAFA

Publié par Thierry Delcourt sur 19 Janvier 2017, 07:30am

Catégories : #artistes et création, #culture - art et psychanalyse, #psychanalyse, #art vivant, #crise

Pour celles et ceux qui le souhaitaient, voici le texte de mon intervention lors de la Journée du TUNNEL DES 50, un colloque passionnant et qui, surtout, parvient à poser des actions concrètes, tant quant à la reconnaissance du problème que des initiatives engagées ou en voie d'engagement. Encore une fois, félicitations aux organisatrices aussi joyeuses qu'efficaces.

Vous êtes médecin psychiatre, psychothérapeute, psychanalyste et je voudrais vous demander pourquoi vous êtes ici aujourd’hui…

En fait, le psychiatre, comme l’artiste, est un sismographe de la souffrance sociale, mais à travers la souffrance d’un individu.

Cette souffrance, on la trouve à des degrés divers. Et parfois, ça peut juste s’exprimer par le repli et le silence de la dépression.

Il ne s’agit pas de dramatiser le malaise des comédiennes de cinquante ans. Une relative invisibilité n’induit pas forcément une souffrance psychique. Il s’agit de faire le constat des dommages collatéraux provoqués par des choix culturels, sociétaux et politiques.

Pour ceux qui ne vivent pas concrètement cette invisibilité, il est facile de la dénier, de renvoyer ce constat au négativisme ambiant, à la déprime ou à la mauvaise foi. Pour eux, il suffirait d’être positive, de se secouer, avec au besoin un coup de pied aux fesses.

Et puis, quoi de plus banal que l’exclusion dans notre société, pas seulement pour les actrices, mais pour toutes les femmes. Et bien souvent, c’est juste lié à une question d’âge, d’obsolescence, de destin Kleenex qui se conjugue sur tous les registres : le métier, l’amour, le sexe, la politique...

Dans ce marché tendu des comédiennes, on constate une forte décote liée à l’âge et à la moindre modification de l’apparence. Comme pour la cote argus des voitures, la plus petite altération va faire chuter l’offre de rôle.

Et vous allez nous dire pourquoi… D’où vient le problème ?…

À mon avis, c’est un double problème : d’archétype et de stéréotype.

L’archétype relève du fond culturel commun qui nous est plus ou moins inaccessible.

La figure archétypale de la Femme nous traverse comme une évidence. Certains la voient même comme l’essence féminine, en écho à l’essence divine ou à la mère nature.

Cette figure mythique est entretenue par ceux qui occupent la place de gardien du temple et de la tradition culturelle et esthétique.

Le stéréotype est différent dans son empreinte psychique et sociétale, mais il se nourrit aussi de la figure archétypale.

Le stéréotype relève avant tout des conditions sociales, politiques et de plus en plus, économiques et médiatiques.

Il est à l’origine d’un rapport de force qui contraint l’individu à plier face au groupe social. C’est d’ailleurs un thème de fiction très prisé.

Ok, donc l’Archétype c’est la figure mythique de la Femme avec un grand F et les stéréotypes, ce sont les rôles que l’on nous assigne et qui nous enferment…

Oui, mais ça n’est pas inscrit dans le marbre. D’ailleurs, les mouvements de femmes agissent toujours pour déconstruire ces représentations archaïques.

Vous savez qu’on continue encore, à notre époque, à discréditer les femmes qui parlent, qui « la ramènent » comme on dit, en les taxant d’hystériques.

Si la contrainte sociale incite à se conformer aux stéréotypes, pour autant, il n’est pas impossible de s’y opposer. Mais il faut savoir que ce n’est pas donné à tout le monde et cela ne va pas sans risque, y compris celui d’être exclu.

Avec leur expérience de la parole et du jeu d’acteur, on pourrait espérer que les artistes et tous ceux qui les entourent, soient les mieux placés pour questionner et déconstruire cet ordre des stéréotypes, qu’il s’agisse de la place des femmes ou de toute autre vision sectaire et aliénante du monde.

C’est exactement ce qu’on essaie de faire avec cette rencontre…

Mais à quoi est-ce que les comédiennes se heurtent d’après vous ?

Eh bien… Au centre de la scène, tous les regards se portent sur la comédienne, et le moindre détail fait signe.

La charge symbolique de sa présence et le poids de l’imaginaire qu’elle véhicule, viennent autant du regard du public que du regard intérieur de l’actrice, dans le rapport intime aux archétypes et aux stéréotypes inscrits profondément en chacun de nous.

Jusque-là, tout reste possible et plutôt joyeux car le jeu d’acteur permet un décodage, une subversion et une déconstruction que le public est bien plus enclin à recevoir que les décideurs culturels pourraient le penser.

Le piège semble autrement plus perfide quand le pouvoir socio-médiatique est aux mains de décideurs économiques qui prétendent définir ce que le public attend en le branchant sur Audimat.

Et là, on ne trouve fatalement que ce que l’on cherche. Le résultat est connu d’avance, compte-tenu des prérequis de ces enquêtes.

La visée de ces décideurs dépend de leurs certitudes encore trop souvent aveuglées par des stéréotypes ringards.

On parle toujours de ce que voudrait regarder la « ménagère de cinquante ans » et donc, on continue à vouloir la formater. Dès lors, où et comment une femme trouvera-t-elle les moyens de se dégager d’une telle servitude ?

Il s’agit d’une censure insidieuse, qui ne dit pas son nom. Cette culture prémâchée avec ses a priori idéologiques façonnent le spectateur.

En quelque sorte, il y a le prescrit et le proscrit.

En écoutant le constat amer des comédiennes cinquantenaires, il semble qu’elles soient, et les statistiques le prouvent, du côté du proscrit, c’est-à-dire de ce qui n’a plus droit de cité.

À l’opposé de cela, le prescrit, dicté par les prescripteurs, c’est la jeunesse à tout crin et le modèle stéréotypé d’une femme lisse, fine et belle ; bref, c’est une femme à la beauté passe-partout, qui ne se reconnaît pas parmi d’autres, surtout si elle est conforme aux critères de sélection esthétique standardisés.

Pourtant, si on interroge vraiment le public, sans aucun doute, il aime les gueules, la marque du temps, la force de l’expérience, de l’âge et de la sagesse.

Il me semble que le public n’a jamais exclu de son panel la comédienne de plus de 50 ans, dès lors qu’elle s’engage avec son énergie et sa singularité dans son jeu d’acteur.

Alors, pourquoi les exclure ?

Pourquoi priver le public de la richesse et de la profondeur d’un jeu typé et expérimenté ?

 

Pour être concret, je vous propose de faire la distinction entre l’objet-femme en tant que figure archétypale, et la femme-objet en tant que stéréotype.

L’objet-femme est le produit d’un ensemble de représentations inconscientes.

C’est en quelque sorte un objet virtuel préfiguré, inscrit non pas dans nos gènes, mais dans la matrice de notre imaginaire. Chacun désire retrouver cet objet plus ou moins fétiche dans son environnement. S’il le retrouve, c’est la passion, mais il est toujours possible de s’accommoder de certaines variations à condition de pouvoir s’accrocher à un détail significatif.

Mais parfois, le moindre écart par rapport au modèle peut conduire à le récuser. La marque de l’âge est un de ces écarts qui peut s’avérer rédhibitoire.

La femme-objet, bien qu’étroitement liée à l’objet-femme, est le produit consommable stéréotypé d’un groupe social, plus spécifiquement masculin, mais pas seulement.

Ce produit varie en fonction des critères d’un groupe social défini.

S’il est consommable, le produit femme-objet est aussi jetable. Il peut même faire l’objet d’une obsolescence programmée. La conformité au modèle y est beaucoup plus rigide que pour l’archétype.

Autant la référence archétypale objet-femme vaut pour tous dans une culture donnée, autant la catégorie stéréotypée femme-objet est avant tout référée aux critères du mâle, à sa domination et à ses visées prédatrices.

Oui, L’objet femme c’est l’archétype et la femme objet le stéréotype…

Et la comédienne dans tout ça ?

C’est là où règne la plus grande confusion, puisque la comédienne incarne l’archétype objet-femme, que ce soit à travers certains rôles qui lui sont confiés, mais surtout par la place qu’elle occupe au centre de la scène, sous les projecteurs.

Or, pour ces mêmes raisons, elle est aussi soumise au marché en tant que femme-objet. Elle est offerte au regard et aux fantasmes du spectateur. Et ce spectateur est façonné par cet objet stéréotypé qu’on lui impose. Et la boucle est bouclée !

Oui, c’est La loi du marché quoi !

Oui, et j’ai précisément noté ce qu’une patiente m’avait relaté. Le producteur, un ami, lui avait répondu habilement quand elle avait insisté :

 « Comprenez-moi, chère amie, ce n’est pas vous le problème, vous savez comme je vous apprécie, mais c’est la loi du marché, et ça ne dépend plus de moi ; pour ce rôle, on sait que les spectateurs souhaitent voir une femme un peu plus jeune que vous ».

Elle ne comprenait pas pourquoi il ne lui avait pas donné un rôle de femme mûre dans une série, comme il lui avait promis.

Le producteur lui a barré l’accès à un rôle qui devait lui revenir. En cela, il a opéré une discrimination à l’insu de son plein gré (on peut lui accorder cela), car son choix est programmé sur des critères standards en lien avec ces stéréotypes.

Cette comédienne a donc subi une double violence :

Celle d’un refus mal argumenté sur son âge et ce qui s’en dévoilerait à l’écran.

Et sa conséquence, ce pourquoi elle consulte : la violence d’un miroir qui lui renvoie l’altération de son image car, désormais, sa vision est biaisée par ce rejet qui la conduit à se déprécier.

Et au niveau des fictions qu’est-ce que vous observez ?

Je trouve qu’on fait trop souvent le choix d’un narcissisme de pacotille qui ne repose que sur l’apparence afin de faciliter une identification à bon compte du spectateur.

On rend le public paresseux. C’est la clé du succès des fictions à la chaine. On offre au spectateur, en quelque sorte, de se glisser sans effort dans la peau d’un personnage qui incarne un stéréotype lisible, accessible et le plus séduisant possible.

Autrement dit, il s’agit aussi, pour le choix d’une actrice, de faire coller au plus juste la femme-objet à l’objet-femme, le stéréotype à l’archétype, le projet étant que la fiction plaise, qu’elle soit addictive, qu’elle rapporte et qu’elle devienne, si possible, une saga ou une série-culte.

Le combat est-il pour autant perdu d’avance ?

Non, bien entendu, à condition qu’une réflexion de fond accompagne la lutte, y compris auprès des jeunes femmes qui enfourchent trop facilement les stéréotypes que leurs aînées ont mis des dizaines d’années à démonter. Ce combat est celui de tous les progressistes. Ce n’est pas que l’affaire des femmes cinquantenaires.

Ces femmes qui restent belles, parfois plus belles encore, mais là n’est pas le problème, détiennent aussi des richesses qui ne passent pas que par l’apparence, et surtout pas par le jeunisme effréné auquel on voudrait les épingler.

Attaquer ces stéréotypes, c’est une lutte légitime et prioritaire face à la discrimination, et merci de vous mobiliser… ça me fera moins de travail en tant que psychiatre !

Mais, plus difficile, il s’agit de déconstruire et de refonder les archétypes qui sont tout aussi aliénants, grâce à un travail de fond individuel, de chacun et de chacune, et ce, dès la plus tendre enfance, et même dès le premier tunnel où on s’engage, celui de la naissance.

 

Thierry Delcourt, psychiatre, psychanalyste  

Site: http://www.thierry-delcourt.fr/

 

 

TROP PETITE LA SCENE ? TUNNEL DES 50  AAFA
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H
En voyant le succès rencontré par Murielle Robin et Michèle Laroque, j'en arrive à penser que la vraie question se résume en: Pourquoi y a-t-il si peu de scénaristes ou d'auteurs (hommes ou femmes) capables d'écrire de bons textes pour les actrices quinquagénaires et si peu de personnes (hommes ou femmes) voulant les produire. La qualité n'a pas d'âge mais la plastique féminine (le stéréotype) est très souvent uniquement utilisée pour masquer la médiocrité des textes.
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