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THIERRY DELCOURT

THIERRY DELCOURT

CARREFOUR ENTRE ART, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE. Recherche sur le processus de création et la capacité créative dans le soin et l'existence


LYDIE ARICKX - PASSION DU CORPS - EXPO ROUBAIX

Publié par thierry.delcourt.over-blog.com sur 12 Avril 2015, 20:41pm

Catégories : #artistes et création, #annonces -information, #Art thérapie, #culture - art et psychanalyse, #psychanalyse, #psychiatrie

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 Œuvrée par l’élémentaire, charriée et bousculée jusqu’au chaos, Lydie Arickx puise à la source originaire de l’être et du monde. Elle ne craint pas l’aventure métamorphique des figures-paysages, ni la traversée du territoire des morts, suppliciés et macchabées.

Elle, sémaphore, se tient debout face à la toile-mer, kraft éphémère, toile émeri. Elle aime et rit, d’un rire qui ne s’oublie pas, claquant sa cascade sonore dans le silence réfléchi de l’atelier. Lydie se risque à fouetter le flot d’équinoxe de sa large brosse pour en extraire une dentelle d’écume, sculptant sans relâche la vague qui la porte et la retourne, épuisée, comme un gant, ‘à rebrousse-peau de soi’.

Que serait-elle, sémaphore, sans la terre côtière qui lui offre un havre tranquille, à distance du ressac ? La côte est hostile sur laquelle se brise l’esquif ; elle est rude, éprouvante pour qui tente de s’y tenir sans recul. Heureusement, Alex en épouse la forme, rendant cette côte souple et duveteuse. Il invite Lydie à s’y blottir par temps d’orage et de tempête. Il devient alors commodité, un ‘Barbapapa’ malléable, aménageant le monde. Bianchi-Barbe noire, sourire silencieux, regard aigu et doux, attentif au moindre signe, Alex offre la protection qui permet le risque de l’esquisse, la rixe d’Arickx avec sa toile, avec et parfois contre soi. Alex et Lydie travaillent la vie et vivent le travail dans la patience des regards, côte-à-côte, complices dans l’exigence de l’accomplissement autant que dans l’émerveillement de la forme qui naît, qu’il s’agisse d’une sculpture ou d’un mouton.

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Balise, Lydie connaît le danger imminent de perdre son ancrage quand elle accepte d’être emportée par le trait, la trace et l’écume qui balaient la noirceur abyssale du bitume cosmique et ouvrent un monde d’angoisse. Lydie Arickx découpe l’ombre d’un corps, fantôme traversé de lumière, chair évoquée : à peine un contour et le regard du spectateur se charge du reste, de cet essentiel qui le fait paysage en l’invitant dans une figure qui refuse de se dire outrageusement. L’esquisse prend corps dans la beauté du dessin puis se défait, toujours insaisissable. La forme bousculée va naître au forceps dans la multitude des tentatives et propositions, jusqu’à la délivrance. Elle porte l’empreinte discrète du sacré sans y être aliénée. Elle est substance, matière brute travaillée à l’insu par une mémoire de forme, archétypale. Réelle, vibrante de terre, d’eau, de feu et de ciel, la matière extraite des éléments ne peut se résoudre à une réduction figurative : pas de beauté du corps, refus des canons esthétiques et de la facilité bavarde d’une expression affectée. La figure porte en elle une relation au monde qui dépasse l’entendement de l’artiste mais n’est pas pour autant ineffable ou transcendante. Lydie doit se pencher, sentir, observer, fouiller, creuser pour saisir une substance d’être et se laisser pénétrer par ce monde proche et lointain, apprendre à le voir, à l’entendre, à se laisser baigner et traverser, les mains dans la tête, pour en traduire l’intonation, loin de l’artifice et du mythe, les mains dans le ventre de la terre, façon sans façons. Écoutons-là nous parler un jour d’automne :

« C’est mon propre corps qui est malaxé… Le tableau s’arrête car le corps l’arrête comme la mer qui se retire, comme l’homme se retire de soi... Ce n’est pas l’œuvre qui est intéressante, c’est la vie qui traverse la création, comme une résurrection incessante.»

« D’où me vient cette naissance..?  Je crois que c’est une peur qui m’oblige à remplir le temps avec des formes et à user tant de papier à force d’être à tel point envahie par ces strates de formes. C’est une invasion de formes, telle une armée, pour lutter contre la mort. Je me sens aspirée à aller quelque part où je n’ai pas envie d’aller. C’est la conquête d’un imprévisible, envers et contre tout… Je ressens en moi à quel point c’est toute l’organisation du fracas qui est à l’œuvre, non pas dans une dispersion, mais grâce à un rassemblement. Il s’agit de canaliser et d’organiser le chaos et l’énergie qui me tient ; c’est le souffle qui va à la recherche d’une vie dans ce chaos, qui est à l’origine de la vie et de la mort. »

L’enjeu est là, à travers chaque œuvre qui naît, dans cette présentation au monde ouvrant l’espace de création. Lydie Arickx joue l’histoire en un geste, en un acte, mais aussi la complexité des sentiments dans une figure qui porte en elle l’actualisation des sensations multiformes à l’instant même de la production. Lâcher prise du geste, maîtrise du regard et expérience permettent que cette émergence n’ait pas lieu dans le chaos d’une immédiateté pulsionnelle. Intuition et raison, expression et pensée doivent se lier dans une construction et une élaboration de la forme, au risque, calculé, que cette forme transite par la destruction.

Entre expulsion et dévoration, offrande et possession, enveloppement et dévastation, ravissement et ravage, jouissance et douleur et même jouissance dans la douleur, l’espace créé pour donner naissance à l’œuvre permet la cohérence de ces apparentes oppositions dans la mise en forme. Ce qui agit ainsi est le fruit d’une cohabitation syncrétique, sans perte d’énergie ni de force. Le produit, objet créé, happe le regardeur qui se tient face aux tableaux et sculptures de Lydie Arickx.

Une métamorphose s’opère dans le temps rythmé de l’acte, entre systole et diastole. Dans l’entre-deux de l’espace de création en tension, l’artiste devient vague, la vague devient corps, un corps-vague-paysage, abstraction concrétisée sur la toile ou dans le ciment sculpté. L’angoisse guette, bouscule et violente l’acte en lui imprimant sa marque sensible dans le tourment de la forme autant que par la touche colorée.

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Alex Bianchi n’a jamais cessé d’être photographe, et même s’il tient plus souvent le chalumeau ou la perceuse que ses appareils photo, il n’en est pas moins artiste avant tout. Son œil scrute l’œuvre de Lydie, mais surtout Lydie à l’œuvre. Complice au point d’en faire oublier la présence d’une caméra, libérant ainsi de l’intrusion d’un objectif fouineur, il suit le geste de l’artiste dans sa violence et son hésitation, dans sa méditation et son excitation. Alex et Lydie ont accepté de montrer ce dialogue intime entre deux êtres, deux regards, entre l’artiste et sa toile, entre le monde et un couple émerveillé par sa beauté naissante. Un film, réalisation de BiancArickx, « Les mers de résurrection », dévoile Lydie au travail. Émotion d’en avoir la primeur, je vois les mains danser, s’entrelacer, en traçant le mouvement de la mer ; je vois le balai griffer, gifler la toile en y fixant l’écume spumeuse d’une mer démontée ; je vois le bâton de blanc racler sauvagement et cogner le papier, emplissant l’espace jusqu’à effacer le dessin ; je vois le bras tendu à l’extrême, dans un déséquilibre au bord de la chute, afin de déposer là, sur la toile, la virgule qui suspend, ou le point qui éloigne définitivement la forme du chaos. Merci, Alex, de nous montrer cet acte d’amour jusqu’à la naissance de l’œuvre. La caméra discrète, sans fioritures, sans effets, ouvre un monde extrêmement intime. Il est rare de voir ainsi la création à l’œuvre sans l’altération d’un tiers, chair ou caméra, dont la présence transforme trop souvent l’atelier en une scène où se parodie l’acte.

Entre vacarme et silence, je vois aussi la musique qui emporte le geste sans le guider, dans un rythme qui croise et amplifie celui de Lydie Arickx. L’artiste fait corps avec le tableau puis s’en éloigne, hagarde et silencieuse, se pénétrant de la forme pour mieux la penser et l’agencer. La figure, dans son abstraction, est enfin traversée du rythme que Lydie voulait y imprimer.

Femme et le revendiquant dans la chair de son œuvre, Lydie ne renonce à rien : ni à sa sensualité, ni à sa violence, ni à sa tendresse, ni à sa dévoration, ni à sa possession… et non plus à sa jouissance. Et ça dérange ! On préfère alors voir en elle une frêle hystérique plutôt qu’une généreuse ogresse. Cette conquête de soi sans concession, sans résignation, sans piège du miroir, Lydie Arickx la partage avant tout avec Alex Bianchi : deux regards tournés vers l’horizon, quatre pieds sur la croute du monde à la recherche d’un chemin essentiel, quatre mains pour une suite endiablée, de projets en recherches, jusqu’à l’accomplissement d’une matière transformée, d’une forme nous réconciliant avec l’élémentaire, d’une écocréation qui respecte la vie et lutte contre les marchands du temple. Cette conquête de soi, Lydie la partage aussi avec toutes ces femmes qui incarnent ou ont incarné la différence, non pas celle entre homme et femme, une évidence trompeuse, mais entre des femmes acceptantes, complices impotentes de leur aliénation, et des femmes engagées, trouvant en elles l’audace de se dresser, vigies et sémaphores.

© Thierry Delcourt

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Une exposition majeure pour une artiste incontournable dans l'art contemporain : Lydie Arickx
Une exposition majeure pour une artiste incontournable dans l'art contemporain : Lydie Arickx
Une exposition majeure pour une artiste incontournable dans l'art contemporain : Lydie Arickx
Une exposition majeure pour une artiste incontournable dans l'art contemporain : Lydie Arickx

Une exposition majeure pour une artiste incontournable dans l'art contemporain : Lydie Arickx

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J
<br /> Quelle belle harmonie fructueuse dans ce couple qui transcende l'écho de son âme en gestation artistique.<br /> <br /> <br />
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