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THIERRY DELCOURT

THIERRY DELCOURT

ART, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE. Processus de création et développement de la capacité créative dans le soin psychique


L'invitation au regard, entrevoir une œuvre

Publié par thierry.delcourt.over-blog.com sur 7 Février 2014, 20:36pm

Catégories : #culture - art et psychanalyse, #artistes et création, #annonces -information

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Oser franchir la porte d’une galerie

Oser parler avec un(e) artiste

Oser dire son impression

Oser même la penser et trouver les mots pour la formuler

Oser aimer ce que d’autres dénigrent

Oser ne pas aimer…

Mais apprendre à y regarder de près, à dépasser la première impression 

Aller au-delà du malaise, du sentiment d’incompréhension et parfois du dégoût

Penser et éveiller sa sensibilité pour surmonter l’émotion initiale, sans jamais l’oublier  Garder en toutes occasions son libre-arbitre 

Refuser de se plier à l’avis définitif de l’expert, du critique ou du quidam branché

Ouvrir un monde en soi grâce au regard attentif, qui sent et qui pense

Regardes, regardes encore ! La récompense ne tardera pas à venir.

 

L’histoire de l’art est émaillée de bouleversements ayant obligé le public à un effort pour accepter de voir ce qui était impensable l’instant d’avant. Pensons à la révolution impressionniste, à l’incongru Dada ou à l’énigmatique abstraction qui générèrent en leur temps un copieux scandale avant d’être appréciés comme découverte et ouverture d’un nouveau monde.

Regarder, comprendre, initier son regard au contact de l’œuvre et de l’artiste, ce peut être un joyeux effort mais qui suppose de ne pas considérer l’art comme une distraction facile et anecdotique, comme une pâle image de la réalité.

L’œuvre d’art vaut parfois tous les discours ; elle les anticipe et les dépasse. La voir et la comprendre ouvre à la connaissance de soi, de l’autre, du monde, des cultures, du politique et de la complexité de la pensée humaine.

Comment ? Oseriez-vous dire qu’un dessin, une musique, une installation, une sculpture… surpasseraient la pensée humaine et la finesse de ses discours ? Eh bien oui ! Il suffit de constater à quel point les artistes ont si souvent anticipé les mutations sociales et culturelles, les guerres et génocides… Ils agissent tels des sismographes hypersensibles devançant les tremblements perceptibles du monde en mouvement ; ils sont aussi les témoins actifs de notre temps. Ils expriment au-delà des mots ce que chacun de nous pourrait pressentir à condition d’être à l’écoute de sa sensibilité, de ses perceptions et intuitions.

Tout artiste est accessible en ce qu’il rend accessible ce qui mijote en nous. Il s’agit, tout simplement, de se mettre à l’écoute dans un contact approfondi avec l’œuvre, loin des idées et des discours préconçus. Mais ce n’est pas si simple… de renoncer à ses certitudes, d’ouvrir un espace fragile en soi, d’accepter la complexité et l’ambigüité de ce qui nous travaille et traverse un monde trop souvent déchiré !

L’invitation au regard… pour entrevoir… sa richesse… éveillée par l’artiste qui nous offre son œuvre… à nous de la saisir, d’en saisir les arcanes sensibles

 

gillet-3---Copie.jpgVoir et penser : l’artiste me guide

 

Les petites tromperies de la perception

 

Entre voir, entendre et croire, que percevons-nous et quel crédit accorder à la réalité perçue ?

Peut-on comparer la matérialité palpable d’une arche de pont, réalisation architecturale pensée et construite par l’homme et celle aussi visible bien qu’intouchable, de l’arc en ciel, perfection de la nature ou plutôt image idéale d’un phénomène ainsi perçu par le regard humain. Plus incertain encore, comparons à ces perceptions la matérialité psychiquement concrétisée d’un objet virtuel reçu en 3D, alors qu’il reste physiquement insaisissable. Pourtant, certains vont jusqu’à dire que le virtuel est le réel de demain !

Dans la diversité de ces situations entre réel et virtuel, la perception fait l’objet d’un intense travail neuropsychique de lecture, d’identification et d’interprétation. Les perceptions doivent d’autant plus être questionnées et relativisées qu’elles diffèrent aussi selon les êtres et les cultures. Irions-nous jusqu’à dire qu’on ne voit, qu’on n’entend, qu’on ne sent que ce que l’on croit ? Quelle limite s’impose à chacun dans ce qu’il peut voir, entendre et sentir ?

Que fait le regard dans son étape de travail neuropsychique ? Il donne à voir un objet à partir du réel. Pour cela, il complète, spatialise, édulcore, donne corps et adapte. Il construit une certaine réalité, la perception, en interprétant les impressions sensorielles de confrontation au réel qui sont déjà sélectives. Ce regard est dépendant d’une préfiguration culturelle inscrite en nous et qui a forgé notre œil. La mémoire partagée et les codes culturels qui nous fondent, posent le cadre restrictif de nos perceptions. On peut parler d’illusion perceptive collective et individuelle, une illusion qui conduit à ce que la réfraction de l’arc-en-ciel ou l’inconsistance de l’objet virtuel deviennent réalité concrète mais différente d’un individu à l’autre et selon les cultures. Nous sommes tributaires de ces illusions et interprétations perceptives qui par leur sélectivité permettent une contrainte sensorielle référée et rassurante, s’inscrivant dans la culture sans y provoquer le chaos. Tout comme les mythes et croyances qui nous fondent, les progrès scientifiques et technologiques modifient progressivement les perceptions par un remaniement permanent de leur construction neuropsychique.

Et tout cela concerne au plus haut point la perception artistique, que ce soit celle de l’artiste ou du spectateur, acteur de son regard, de son goût ou de son écoute. Chacun de nous reste tributaire des limites posées à sa capacité perceptive et à son entendement. Et donc, on pourrait dire que dans la vie banale, il faut le plus souvent croire pour voir. Dans la démarche artistique, et c’est ce qui en fait une activité humaine essentielle, le défi à relever est de cesser de croire ou tout au moins d’interroger et de déranger les croyances pour voir enfin, ressentir autrement, penser et être ailleurs. Les illusions et le virtuel que les artistes mettent au travail, permettent de révéler les facettes cachées de la perception, ce qui permet de mobiliser des associations sensorielles ordinairement silencieuses : synesthésies, réminiscences secrètes, passions et émotions archaïques…

L’artiste génère en nous des images mentales complexes, mais qu’est-ce qu’une image mentale et comment elle nous vient ? Elle n’est jamais une évidence car elle fait interagir des éléments hétérogènes. Elle est là, élue composite qui a réussi à dominer l’espace virtuel de travail neuropsychique, source de nos perceptions et actions. Elle est l’amalgame d’éléments  émotionnels, traumatiques qui ravivent l’originaire et activent la passion. L’œuvre d’art est le fruit de ces agencements inédits d’une virtualité de réel, celle de l’artiste produisant un objet. Cet objet, même s’il est palpable, reste avant tout inscrit dans les formes virtuelles et conceptuelles de l’artiste mais il ouvre d’autres configurations virtuelles pour le spectateur.

La réceptivité à la création d’art contemporain est tributaire d’une capacité à s’ouvrir à ces agencements qui évoluent à la pointe de la culture dans une étonnante diversité. L’acceptation et la compréhension du public n’est généralement que partielle et souvent douloureuse car il faut compter avec l’inertie des capacités perceptives et conceptuelles. Il faut donc apprendre à voir et à entendre, en décapant, comme le font les artistes, la préfiguration de nos perceptions et en acceptant de quitter nos repères rassurants.

 

 

Cinq modalités du regard

 

Comment regarder : faut-il se poser la question ? Après tout, un simple coup d’œil faisant confiance à l’intuition pourrait suffire ! Certainement, cette approche reste une valeur sure liée au plaisir et à la fonction distractive de l’art. Toutefois, se limiter à ce premier regard risquerait de priver le spectateur d’un autre plaisir, certes plus élaboré mais aussi plus riche dans son apport culturel.

La première modalité du regard correspond à une vérification contraignante : la chaise est une chaise et qu’elle soit de cuisine ou de Van Gogh, sa représentation est univoque. Sa fonction est le plus souvent pratique et utilitaire. Il s’agit d’une perception codée et figée dans sa correspondance entre une chose, un mot et un sens. C’est le réel sans faille ni rêve qui ne permet aucune sensibilité artistique.

Plus classique et, disons, utilitaire autant que culturel, il est possible de distinguer une vision engagée et contrainte par la préfiguration. Cette vision se plie aux icônes, aux symboles qui font référence à un monde transmis par l’œuvre ou puisé dans l’œuvre par celui qui ne peut y voir qu’une confirmation du monde qui l’habite. Le regard est contraint à une fonction d’invocation et de réaffirmation de la sujétion aux codes culturels rigides et orthodoxes. Cette vision préfigurée s’inscrit étroitement dans le corpus culturel ; elle anticipe la perception en imposant la contrainte du signe, celui d’une image-icône, d’une mélodie-refrain qui correspondent et renvoient à un symbole. Le symbole représente la contraction d’un mythe faisant fonction de vérité. Bien connu et largement utilisé dans sa dimension religieuse, le symbole iconique concerne tous les domaines de la vie en tant qu’il économise la pensée par un effet de massification et de certitude. Les humains en ont besoin, paraît-il… à moins que cet opium ne facilite la marche du monde en rendant plus efficace la contrainte du pouvoir quel qu’il soit.

Un peu plus loin encore et nous arrivons à une vision qui ne s’attarde à l’objet d’art que comme une pure forme. Voir se voudrait être là une vision brute, objective et formelle, exonérée du langage sensible et de la pensée subjective pour inventer un langage esthétique et sa pure pensée s’inscrivant dans le corpus des formes. La forme est, dans ce cas, traitée par un regard prétendu objectif,  non sensible, anhistorique sauf concernant le champ esthétique qui constitue sa référence. Cette vision brute, utopie d’artistes et de critiques théoriciens, permet de considérer un art en train de se découvrir dans l’insistance de sa recherche formaliste.

Plus proche de l’amateur sensible à l’art, il existe une vision que l’on pourrait nommer associative, vision qui ne recule pas devant l’œuvre en acceptant le risque de s’y plonger et de laisser son être associer autour des sensations que provoque l’œuvre. Face à elle, l’immersion et la confrontation engagent la perception sur le mode « comment ça nous regarde » entre être vu, concerné par l’objet et le voir. L’objet créé convoque et provoque chez l’amateur un flux de représentations sensibles dans le travail intime et singulier de perception neuropsychique. Par cette vision associative, l’œuvre parle, évoque et invite à une expérience subjective de la forme, de la sensorialité immédiate empreinte de réminiscences et d’affects sensibles. Comme le rêve, cette vision génère des impressions, des émotions, des sentiments, des pensées intuitives et sensibles.

Enfin, et c’est un aboutissement pour l’amateur d’art, il existe une vision pensante mais qui suppose un apprentissage formel, historique, conceptuel du regard, sans pour autant renoncer à la résonance intuitive et à la vision associative. Ce regard liant l’ouverture sensible à la pensée permet un dialogue véritablement productif avec l’œuvre par l’acte de perception sentie et pensée. Il s’agit de se laisser voir en pensant l’œuvre dans sa forme et son inscription esthétique, culturelle et politique. L’apprentissage du voir suppose un guide et une pensée à l’œuvre éventuellement reliée au propos de l’artiste et à l’histoire esthétique mais qui ne doit pas compromettre l’appropriation sensible et associative. C’est le véritable acte du regard qui permet de se laisser voir en pensant sans préfiguration, sur l’instant et dans l’après-coup avec un aller-retour permanent entre ressenti, association et pensée.

Il est, bien sûr, tout à fait possible de transposer ces modalités à l’écoute musicale, au toucher ou au senti des amateurs d’art dans sa diversité. Dans ce contexte, il n’y a plus d’art mineur car chaque œuvre peut ouvrir un monde.

                                         

© Thierry Delcourt

mauro Corda étude

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J
<br /> Je contemplais et regardais encore et encore l'oeuvre<br /> d'une artiste, elle me demanda alors ce que je voyais,<br /> je lui répondis une gamme où les notes sont représentées<br /> par un semblant d'hirondelles prêtes à s'envoler, son<br /> merveilleux sourire fut ma récompense.<br /> L'art est le plus beau des voyages, celui de l'intérieur.<br /> <br /> <br />
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