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THIERRY DELCOURT

THIERRY DELCOURT

CARREFOUR ENTRE ART, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE. Recherche sur le processus de création et la capacité créative dans le soin et l'existence


GUY GOFFETTE (1947-2024) - Entretien exclusif

Publié par Thierry Delcourt sur 31 Mars 2024, 13:29pm

Catégories : #culture - art et psychanalyse, #littérature, #poésie

GUY GOFFETTE (1947-2024) - Entretien exclusif

 

Entretien avec Guy Goffette  

Extrait Au risque de l'Art éd. l'Âge d'Homme, 2004

"Je n’avais pas le droit à la parole. J’étais sous la table, mes parents étaient peu disponibles. Je ne pouvais pas communiquer mes pensées, mes désarrois, mes inquiétudes. J’ai confié à un cahier mes questions, ma tristesse et mes bonheurs.  Je voulais rendre les choses belles pour être entendu et compris, passer du dessous de la table au dessus. Ce furent mes premiers chagrins, dans les années cinquante, à la campagne avec beaucoup de questions… mais sans réponses. J’étais élevé dans une famille catholique avec un père brutal, maladroit, il ne savait pas. C’était moi l’aîné… les coups… on battait tout le monde en ce temps-là à la campagne... les bêtes... les gens." ... "Pour moi, l’écriture a précédé la lecture et ce fut la libération en écrivant. Cela n’intéressait personne jusqu’à ce que j’ai eu le prix de l’académie Mallarmé, ce qui a imposé mon travail et sa valeur marchande. Quand mon ami s’est tué, on m’a demandé de faire le discours, l’éloge funéraire fut imprimé, j’avais 16 ans. J’ai écrit le texte avec application. Je recherchais les mots, dans un sens plus qu’esthétique, comme un dépassement. J’étais dressé contre ma famille et la religion. Et cet éloge a ému. Mon ancien instituteur a dit que c’était un très beau texte, alors j’ai continué."

"J’ai  troqué le pinceau de lumière contre la poésie. Je sais très bien dessiner, je voulais être peintre. Mais dans la famille un peintre c’est un saltimbanque. Ça contrevient. Mon père a dit non, tu seras professeur et j’ai suivi la filière de l’École Normale... Je voulais être peintre, alors de la peinture à la poésie… Je suis orgueilleux, il faut le mieux, comme les écrivains que j’adore. J'ai une grande exigence dans la création, j’ai besoin de cette perfection. Je vais chercher les gens qui sont rejetés, c’est l’ombre."

En poésie la pensée me précède, pas le verbe, sinon on versifie. C’est d'abord une sensation. Je me disais vivre est autre chose, je le sentais à l’air. J’essaie des poèmes, mais pas de la poésie. C’est indéfinissable la poésie, le poème est né, il procède d’une musique, ça ne vient pas, je ne peux pas écrire, c’est une musique des mots puis la musique des sens. C'est la sensation pas la pensée. Il faut tirer parti du premier vers, on n'y arrive pas par la volonté. Henri Michaux disait : « le seul fait de se mettre à sa table avec la volonté d’écrire un poème suffit à le tuer ». C'est la musique que j’entends, ça brasse des sensations, des émotions, un chagrin, des désirs avortés qui cristallisent et qui passent dans la musique des vers. Après cinq ans de travail, quoique je fasse après treize vers, je ne peux plus rien écrire, tout est fait. J’obtiens toujours treize, je me laisse porter. J’écris peu. Je suis resté pendant un an et demi sans écrire de poème. Si le poème n’est pas parfait, j'arrête. Il faut que le vers me chante et m’enchante. Je ne sais pas ce que j’ai voulu dire, ça m’échappe. ce que je vis, mon poème l’annonçait."

"Un jour une femme qui allait se suicider m'a lu en librairie et m’a écrit « je suis ressortie, je suis toujours vivante »."

"L'instant-clé, c'est là où si on ajoute ou on retire, on incline le poème vers autre chose, on l’abandonne à lui-même. La poésie va plus loin que soi-même, elle va à l’inconnaissable, pas à l’inconscient. Le poème écrit ce que nous nous ne savons pas, ce qui nous meut que nous ne savons pas, ce qui nous rend fragile, la force de la fragilité, c'est-à-dire ce qu’il en fait. La reconnaissance de la fragilité, c’est ça l’être humain. Le poète écrit avec un matériau offert qui rejoint cet autre en soi, le « je est un autre «  de Rimbaud."

"J'ai besoin d'écrire le vers qui me définit, qui me fait ressentir une sensation, ce n’est pas thérapeutique mais ça a un effet thérapeutique. Je les lis ça me fait toucher le point nodal. On est tous sous une étoile, Verlaine était saturnien, moi élégiaque, sentimental et bélier. J’ai besoin d’un langage ferme de la campagne. Un arbre est un arbre. C’est important avec aussi les mots concrets entre eux: sensation, lumière, éclat, fragrance... des choses impalpables. C’est le palpable et l’impalpable, mais c'est concret. Je touche et je sens les choses. Je dois écrire le poème qui me tient et me résume.Le poète ne sait pas, on ne demande pas à un poète d’être intelligent.Ça lui échappe, c’est une réinvention. Le poète n’invente pas, il dit ce qui est devant lui et qu’il ne connaît pas. Je veux être plus et avoir moins. Si l’avoir m’empêche d’être plus."

GUY GOFFETTE (1947-2024) - Entretien exclusif
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