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THIERRY DELCOURT

THIERRY DELCOURT

CARREFOUR ENTRE ART, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE. Recherche sur le processus de création et la capacité créative dans le soin et l'existence


Gérard Rondeau : photographe du fond du monde

Publié par Thierry Delcourt sur 15 Septembre 2016, 20:23pm

Catégories : #culture - art et psychanalyse, #culture, #crise, #artistes et création, #annonces -information, #Art thérapie, #art vivant, #psychanalyse, #psychiatrie, #psychologie

Gérard Rondeau : photographe du fond du monde
Gérard Rondeau : photographe du fond du monde

L'ami Gérard Rondeau vient de nous quitter brutalement, trop tôt pour nous montrer ce qu'il savait du monde, de son fond et de ses affres. Ses belles rétrospectives, dont celle du Cellier à Reims en 2016 étaient-elles prémonitoires. Repose en paix, Gérard, et nous n'oublierons jamais la magie de tes photos. Ci-dessous, voici quelques mots de Gérard Rondeau extraits de nos entretiens en 2005 et 2006 pour la réalisation de 2 ouvrages : Thierry Delcourt "Au risque de l'art", éd. L'Age d'homme 2007, et "Créer pour vivre", éd. L'Age d'homme, 2013

‘L’insistance de ma préoccupation s’est traduite dans la photo. Je voulais embrasser le monde avec une dimension sensorielle très présente… Le plaisir de la photo est devenu identique au plaisir de voir. Voir les choses en place, voir les reflets et le jeu de la lumière. Je me place pour organiser un panorama de la lumière… Sous la puissance de l’instant, de la situation, je suis bouleversé par quelque chose de plus fort qui ne se raconte pas… Mes sens sont exacerbés et je suis dans un état autre, où plaisir et sensualité me guident.’

Puis, évoquant le processus de création dans l’instant de prise de vue :

‘Le moment est parfois si intense que j’ai envie de le prolonger. Car, quand le bruit du déclencheur est là, l’instant est clos. Ce n’est pas un moment sacré mais plutôt un moment de jouissance.’

Gérard Rondeau évoque explicitement la transfiguration à l’œuvre dans cette sublimation élue en lui et par lui, qui lui offre ces instants de jouissance. Pris au jeu de cette quête de renouveler l’instant de cette composition idéale, il relate ses longues et passionnantes pérégrinations :

‘Quand je suis dehors avec mon Leica, là, le corps n’existe plus. Il s’efface. Je marche des heures sans compter l’attente et les arrêts. C’est le plaisir, l’intensité, une exaltation et une extrême légèreté.’

Gérard Rondeau ne passe pas son temps à photographier. Il ne veut surtout pas altérer la qualité et l’intensité de son travail créatif qui nécessite un sujet, un thème à explorer dans lesquels s’inscrit l’acte de photographier, à condition de le sentir. Il dit être très sélectif dans les sujets qu’il accepte. Il sait vivre autrement son désir dont une part devenue essentielle le comble par la création photographique....

‘Je suis très lucide sur ce que je fais et je ne dois pas me poser la question. Alors, je fais, je construis des livres. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions, je les regarde peu et j’essaie de faire avec ce que j’ai. Je suis plein de doute, mais le doute ne remet pas en cause mon travail. Le regard des autres a son importance mais je ne montre pas mes photos spontanément. J’emmagasine. Je montre à ma femme et à mes enfants. Pour le reste, on prend l’habitude d’être jugé. À chaque portrait, on est jugé, alors, il faut prendre un certain recul. Que véhiculent ces jugements : par exemple, les livres sur Yves Gibeau et le Chemin des Dames, la maison vide, l’absence m’ont valu de nombreux courriers. Il y a le livre, la photo. Les gens s’approprient tout cela, et l’histoire intriquée à la leur. J’aime ça, surtout lorsqu’ils expriment leurs émotions. Pour le travail sur les musées, j’ai eu la réflexion : vos photos sont très drôles. Je n’y avais pas pensé ; c’est une réinterprétation. Moi, j’y voyais un rappel à l’ordre, une sorte de ‘vanité’, et, pour d’autres, c’est devenu drôle. Les œuvres sont lucides ; elles regardent le spectacle de la barbarie de notre monde, et le tragique devient drôle… On ne peut pas plaire à tout le monde. Il faut être lucide.’

Gérard Rondeau, puisant magiquement la lumière dans l’ombre si présente de ses photographies noir et blanc, se défend du doute et de son attente par une ‘lucidité’ mise en avant, anticipatrice des ombrages de la critique. Il réussit à déplacer l’attente d’une validation de sa création vers l’effet de dialogue qu’entraîne son œuvre, en acceptant la réinterprétation comme un enrichissement. Sa distanciation, en partie défensive, lui permet de mieux accepter l’enrichissement de la critique en l’écrémant de ses scories agressives. © Thierry Delcourt

Gérard Rondeau : photographe du fond du monde
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