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THIERRY DELCOURT

THIERRY DELCOURT

CARREFOUR ENTRE ART, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE. Recherche sur le processus de création et la capacité créative dans le soin et l'existence


La tentation du savoir, entre croire et connaître

Publié par thierry.delcourt.over-blog.com sur 13 Avril 2014, 06:23am

Catégories : #culture - art et psychanalyse, #artistes et création, #annonces -information

                                                                                              

   Ce propos est encadré par une culture qui a ses spécificités, et je n’oublie pas que la culture française où je baigne ne peut prétendre à poser les conditions d’une universalité. Bien sur, cette tentation rassurante nous guette, d’autant que notre culture puise sa richesse dans ses origines multiples : gréco-latines, anglo-saxonnes, celtes mais aussi, plus lointain et secrètement inscrit dans le cœur du langage, ses racines indoeuropéennes, tel ‘gnô’ que l’on retrouve dans connaissance et cognition.

        Ces racines communes ne sont pas que la cicatrice originaire des mouvements de population. Elles ont participé aux fondements des cultures dans leurs divergences historiques et continuent, à notre insu, à jouer un rôle actif dans la pensée et l’expérience humaine. Il ne faudrait pas pour autant englober dans un discours consensuel les cultures indiennes et françaises, si différentes, y compris dans leurs particularismes locaux. Un discours à ce point réducteur serait trompeur et dangereux. Il est nécessaire de reconnaître et d’accepter cet étranger radical qui fragmente et sépare nos cultures. C’est ainsi que l’on pourra tendre des passerelles entre elles.

Les psychiatres et les psychanalystes ont l’expérience de cet étranger :

  • celui, intime, du ‘je est un autre’ désignant ce qui échappe au sujet dans sa tentative pour saisir son être, peuplé d’un monde étrangement familier
  • celui de l’autre, l’interlocuteur, proche dans son altérité ou radicalement étranger, 
  • celui de l’insu de notre culture : les secrets partagés, leurs fondements originaires, les mythes et les tabous,
  • celui de l’étranger, d’une autre culture. On ne le comprend pas, il parle une langue insolite, ses us et coutumes nous étonnent et nous font sourire, malheureusement pour certains avec condescendance car, pour eux, il est bien évident que seule notre culture détient la vérité et contient le monde, xénophobie bien rassurante.

 

      En développant quelques traits singuliers inscrits dans ma culture, je voudrais susciter ces passerelles pour tenter d’enrichir une pensée clinique et anthropologique. Je m’appuierai pour cela sur des figures concrètes. 

        Distinguer savoir et connaissance est indispensable pour poser les bonnes questions. Sans entrer dans la complexité du débat, il est nécessaire de donner sa pleine valeur à la connaissance, embrassant jusqu’à la perception du réel impalpable et du monde sensible en amont du langage. Il ne s’agit pas, bien sûr, de retirer de la valeur au langage qui est le vecteur humain fondamental donnant accès à la capacité de pensée. Cette capacité reste fondamentale pour accéder à la connaissance transmise et issue de l’expérience.

        La connaissance est un processus qui ouvre la possibilité d’être au monde dés avant la naissance et qui se développe et s’enrichit la vie durant jusqu’à la mort. Elle inclut la connaissance de soi donnant tout son relief à la connaissance du monde.

        L’expérience du réel imprime en nous sa trace sensible, de la voix à l’odeur et au goût de la mère, de l’épreuve douloureuse du corps à sa jouissance insolite, du paysage perçu à la mort entrevue. Cette trace ne constitue pas nécessairement un savoir accessible mais elle marque tout savoir d’une empreinte strictement individuelle. Elle est, à notre insu, au cœur du désir et de l’acte.

       Le savoir construit, appris, fruit de l’expérience et de la pensée, organise la connaissance. Plus il est rationnel et efficace, comme c’est le cas dans notre culture libérale et scientifique, moins il prend en compte cette part sensible, corporelle, intuitive, cette pulsation de l’être à l’interface du monde réel. À l’opposé, certains individus ou d’autres cultures vont exacerber cette ouverture à soi et au monde et faire de ce registre dit irrationnel, le cœur de la pensée et de l’acte.

 

Tu peux savoir !

          La condition nécessaire à une humanisation passe par cette offre, cette autorisation, ce visa ouvrant au monde, à l’existence, à la connaissance. La formule ‘tu peux savoir !’ n’a pas à être prononcée. Elle agit implicitement comme une capacitation sous la forme d’une mise en place des instances symboliques, langagières, dés que l’enfant est parlé et qu’on lui parle :

  • autorisation, capacitation, mais aussi incitation par l’initiation et la découverte, tributaires d’une qualité de culture diversement distribuée selon les individus. Nous savons que la culture est un bien aussi mal et injustement réparti que les richesses matérielles, que l’on soit en France ou en Inde.
  • injonction et obligation au savoir passent par les apprentissages dans le cadre d’une éducation et des contraintes de l’autonomisation. Cette obligation, soutenue par une politique d’accès au savoir, peut espérer atténuer les disparités et l’emprise des élites.

 

        Quant au sujet, réceptacle et acteur de cette culture, il est tributaire de ses dispositions neurocognitives, affectives et désirantes qui agissent comme condition de la connaissance.

Ce sujet doit accepter la soumission éducative et la faire sienne. Il l’inscrit dans sa quête active de l’objet du désir, élaboration psychique nommée sublimation par Sigmund Freud.

Enfin, cet accès à la connaissance est intimement lié à la question de la liberté, celle de l’autonomisation mais aussi celle d’un partage du savoir qui limite les processus d’aliénation et d’asservissement.

 

Mais tu peux savoir quoi ! 

  • Tu peux savoir ce qui est su, bien sûr, soit le savoir acquis, institué, autorisé, nécessaire et partagé. Personne n’y échappe.
  • Tu peux savoir ce qui est insu, du secret de Polichinelle au tabou, traversant la famille et au-delà, l’espace social silencieux empreint d’une magie efficace opérant dans l’ombre mais aussi, plus cynique et pernicieux, les dessous cachés des manipulations politiques aliénantes. Tu peux mais on ne t’y incitera pas.

§ Tu peux savoir aussi qui te traverse et qui, par divers processus, dont la psychanalyse et certaines pratiques méditatives et créatives, accède à la conscience. Cet insu ne se résume pas au refoulé freudien, mais concerne aussi les représentations psychiques inorganisées et donc inaccessibles car non structurées par le langage. Cette frange, nous le verrons, est essentielle pour l’inventeur et l’artiste. Elle est cruciale dans l’humanisation car elle permet qu’existe un territoire, un objet, une représentation, un concept, là où le rien générait un vide questionnant et angoissant. Ce laboratoire de l’humanité est un élément majeur du progrès dans la culture.

 

Entre croire et connaître

         Le savoir humain, dépassant nos capacités individuelles, oblige à accepter ses chemins tracés, mais le progrès de la connaissance impose une mise en question allant parfois jusqu’à la déconstruction et l’éclatement du savoir institué dans un domaine de recherche.

Il n’est pas question, là, de relativisme ou de nihilisme, mais d’une disposition à découvrir plutôt qu’à adhérer, à expérimenter plutôt qu’à apprendre, même si, un temps, adhérer et apprendre restent incontournables dans l’accès au savoir et l’initiation aux pratiques.

         La science ne se discute pas, elle est. Son impérialisme est devenu, grandes puissances obligent, l’unique critère du progrès humain, reléguant les autres formes de connaissance au rayon des accessoires. Elle s’impose dans une confusion de principe associant l’objectivité décrétée et la vérité démontrable. Elle est portée par les nations et les hommes au rang d’universelle référence.

        La science domine le monde, et pour cause, puisque, même si son intérêt humain est évident et non contestable, elle se prête plus souvent qu’il ne le faudrait à servir le pouvoir et la guerre. Elle permet donc aux sociétés scientifiques de conquérir le monde et de lui dicter la vérité en oubliant les présupposés idéologiques et les croyances subjectives inhérentes à la démarche scientifique.

        Cet écueil conduit à stigmatiser des cultures dites préscientifiques, se référant à des modèles spiritualistes contraints par leur archaïsme aux pratiques magiques. Ces cultures sont évaluées comme des sous-cultures témoignant du caractère primitif et arriéré des peuples qui y restent soumis, refusant de s’en remettre à la preuve scientifique.

       Le savoir constitué de ces cultures est ravalé au titre de croyance irrationnelle et inepte, en opposition à la vérité de la science. Et c’est ainsi que le savoir ancestral et la démarche de connaissance propres à ces sociétés dites préscientifiques sont rejetés en bloc, considérés comme non valides car non démontrables scientifiquement. On aime leur parfum d’exotisme et de folklore, on y voyage pour rêver un peu, mais ce n’est pas sérieux !

       Les sciences humaines et la psychanalyse n’échappent pas à ce piège impérialiste. Le risque en est une prétention à analyser tous les phénomènes humains à partir d’invariants posés scientifiquement qui traverseraient les cultures et les hommes. En agissant ainsi, la démarche scientifique se prive d’autres processus d’accès à la connaissance, ouvrant sur d’autres savoirs.

       L’analyse des mythes fondateurs d’une autre culture, de son monde symbolique et du foisonnement imaginaire qui s’y rattache ne peut prétendre dépasser le registre d’une interprétation parmi d’autres possibles. Cette analyse interprétative reste, malgré l’intérêt et la valeur de sa démarche et de ses résultats, une traduction imprécise face à une conception du monde parfois radicalement étrangère.

       Cette interprétation ne peut donc pas nous autoriser à asséner et à enseigner la vérité de ces cultures autres, au mépris de leur richesse à peine entrevue. Tout au plus, et c’est déjà beaucoup, l’interprétation peut aider à éveiller et à ouvrir des cultures ayant tendance à se figer sur une tradition fossilisée et des croyances indétrônables, ces croyances étant le plus souvent sciemment entretenues par les puissances conservatrices afin de préserver les privilèges et de maintenir les masses populaires dans l’asservissement.

 

         La connaissance se construit sur une organisation spécifique des représentations psychiques de l’individu en fonction de sa culture. Ces agencements singuliers mais de culture commune, signent la subjectivité et la relativité des savoirs et des pratiques.

        Singularité et communauté rendent efficaces ces agencements des représentations psychiques puisqu’ils sont appropriés et valides dans une culture donnée. C’est sans oublier tout cela que l’on peut poser la question de la vérité, ni majuscule, ni universelle.

        Tenant compte de ces indispensables remarques préalables, nous allons suivre quatre figures de la connaissance, paradigmes incarnés par des hommes, créateurs et inventeurs chacun dans leur domaine :

  • la philosophie concrète de Jean-Paul Sartre produisant une psychanalyse existentielle et s’inspirant du courant phénoménologique comme l’ont fait certains psychiatres,
  • la création artistique fondatrice avec Zao Wou-Ki et Alberto Giacometti,
  • l’invention de la psychanalyse par l’autoanalyse avec Sigmund Freud.

 

       Avec insistance, ces hommes ont créé en bouleversant le savoir à partir d’une voie inventive réaménageant fondamentalement la connaissance. Ils ne sont pas les seuls, bien sur, mais la voie qu’ils ont tracé a marqué et a transformé notre culture. Vu de l’occident, on pourrait supposer  un tel cartel bouleversant avec Mahatma Gandhi, Satyajit Ray, Jawaharlal Nehru et Rabindranath Tagore.

       Ces voies exemplaires peuvent aussi servir de passerelles afin de mieux comprendre l’humanité en mouvement. Y aurait-il une source commune à l’origine des réaménagements psychiques et culturels qu’elles proposent.

 

Connaissance, tradition et modernité

 

Ces figures concernant la philosophie, l’art et la psychanalyse ont en commun de :

  • découvrir et révéler, c'est-à-dire de donner forme et consistance aux représentations psychiques depuis leur ébauche informelle et inconsciente. C’est la genèse de l’acte.
  • construire et produire un objet quel qu’il soit, de matière ou de concept. C’est le passage à l’acte, qui peut ou non prendre un caractère d’impulsion, de surgissement.
  • inventer et entamer le champ réel prétendument inaccessible au langage. Cela s’adresse au monde sensible et à la chose irréductible pour en faire un objet à voir et à toucher, soit l’objet matériel, ou à entendre et à saisir, soit tout autre objet : conceptuel, musical ou gustatif. Par cette opération, l’inventeur va rendre visible et dicible, et donc gagner un espace nouveau dans notre humanisation.
  • ne pas craindre l’hétérodoxie, le ridicule ou le rejet en ouvrant une voie insolite et même parfois interdite, non par provocation mais par nécessité. C’est le cas de Sigmund Freud face à Vienne la bourgeoise, sa médecine organiciste et sa morale religieuse. C’est le cas de Jean-Paul Sartre face à la philosophie classique emprisonnée dans son orthodoxie et sa rhétorique mais aussi face au pouvoir conservateur et colonialiste. C’est le cas de Zao Wou-Ki face à sa culture traditionnelle chinoise, carcan extrêmement contraignant qu’il refuse en se tournant vers la peinture moderne occidentale. C’est le cas d’Alberto Giacometti qui ne peut s’en remettre aux évidences de la perception et en cherche l’essence.
  • ne pas s’en tenir à la croyance, en la mettant en question  jusqu’à ne plus croire. C’est  une opération de déconstruction qui tend à trouver en soi et par soi, sans toutefois nier l’apport des techniques acquises et du savoir constitué. Mais cela peut aller jusqu’à attaquer les fondations pour ne plus s’y référer en courant le risque d’une tentative d’autogénèse et d’une dérive délirante.

 

§  -  Invention et déconstruction

          Le processus qui mène à l’invention et à la création d’objet n’implique pas une déconstruction bouleversante de type ‘tabula rasa’ ou retour au chaos. Cette recherche trouve le plus souvent un réagencement inédit des composants de la culture en la dépliant depuis son inscription originaire jusqu’à l’archaïque, l’actuel et le devenir.

          Dans notre monde actuel, l’invention ne peut se passer de prendre en compte le savoir constitué pour le mettre au travail sans ménagement mais aussi sans respect ni relâche.

          Le partage historique et actuel des cultures permet d’insolites rencontres à l’œuvre dans ces remaniements : c’est, par exemple, Alberto Giacometti et la communauté de ses formes avec le monde africain, c’est aussi Zao Wou-Ki aux prises avec son geste réinventant ce qu’il a quitté pour réussir un fusion entre sa culture d’origine et son imprégnation occidentale, ce sont ces créateurs actuels de plus en plus nombreux qui vivent le brassage transculturel dans un dépassement de leur acte. L’objet créé tente, alors, de transcender les cultures.

         Ces voies imposent un effort et des contraintes parfois douloureuses pour réaliser cette alchimie complexe qui produit un entre-deux bouillonnant entre l’inscription dans la culture d’origine et celle d’appartenance.

         C’est un travail de défrichage de l’inexploré en soi et de l’inédit au monde qui permet que se révèle une ‘terra incognita’ de l’humanité. Il s’agit alors d’organiser cet apparent chaos en traçant son propre chemin. Ce n’est pas le chaos mais l’acceptation de s’y exposer qui compte pour découvrir et extraire du monde et de soi, le produit d’une invention.

         On constate à quel point tout ceci est à l’œuvre dans la création artistique actuelle, mais aussi dans le questionnement inventif des cultures, y compris dans le champ psychiatrique où la clinique évolutive est la source d’une création théorique nécessairement bouillonnante. Là aussi, le brassage culturel et les effets de mue sociale génèrent des terra incognita à défricher.

         Il ne s’agit pas d’un refus nihiliste des acquis de la culture, mais de la mise en question générée par le mouvement. Ce décalage nécessaire peut aller jusqu’à la révolution :

  • c’est repenser la liberté pour Sartre à partir des concepts de contingence et de facticité,
  • c’est la naissance de la forme en soi pour le plasticien sans se soucier d’une quelconque figuration ou représentation identifiable,
  • c’est produire du sens dans le jeu polysémique et la résonance signifiante pour le poète et le psychanalyste.

         La solitude de l’inventeur permet cette exigence d’une voie à défricher envers et contre soi, l’autre et le monde. L’insistance et l’obstination visent la percée et la perfectibilité de l’objet créé. Mais cette solitude ne peut se vivre sans un besoin ressenti de référence, d’appartenance, de reconnaissance et de transmission.

        C’est une nécessité d’y répondre et c’est la condition pour ne pas délirer ou s’emmurer.

§  -  Problématique du transculturel

         Faut-il revenir vers la connaissance des fondements culturels : racines indoeuropéennes du langage, croyances religieuses théistes et animistes, croisement et dialogue des mythes ?

        Assurément, car c’est ainsi qu’il est possible de poser des passerelles intelligentes entre les cultures. Cette version pensante et transcendante de la mondialisation est enrichissante, à l’opposé de celle dont nous subissons la mise en place, fondée sur une économie impérialiste : globish de la communication affairiste, uniformisation et globalisation écrasant le singulier mais aussi les identités culturelles, leur art et leur savoir-faire jusqu’à leurs mythes fondateurs.       

        L’individu et les communautés sont alors pris entre une aliénation dépersonnalisante et une espérance de libération par la production de richesses pourtant de plus en plus mal réparties. Le seul bénéfice pourrait bien être l’ouverture et la communication mettant à jour les petites tyrannies familiales ou communautaires et libérant le sujet…mais pour le livrer à l’emprise consumériste.

         Face à ce mouvement déréalisant, on constate que les cultures locales peuvent se réactiver sous une forme pervertie, durcie et totalitaire : l’identité culturelle privée de sens devient soumission aux diktats religieux, magiques ou scientistes. L’emprise du fondamentalisme et le repli communautariste témoignent d’une lutte désespérée contre l’inexorable mort de dieu et de la symbolique religieuse, ouvrant une brèche définitive dans le fondement symbolique des cultures.

        Il existe une autre voie, celle qui tente de préserver une identité culturelle ouverte, ni nostalgique, ni folklorique. Cette voie en mouvement peut sauver le cadre symbolique, la forme et le geste dans la perfection de leurs fondements historiques et communautaires. Elle peut le faire à condition d’accepter de déconstruire et d’inventer, sans écarter les hypothèses provocantes de reconstruction, même non correctes, anachroniques ou loufoques.

        C’est la caractéristique  d’une culture vivante, en mouvement.

 

§  -  Croire et craindre 

        Croire est une nécessité de préservation face à l’angoisse : angoisse de la contingence existentielle face à l’insensé, angoisse liée aux pulsions et fantasmes incongrus, angoisse de mort, angoisse face à l’incommensurable univers.
        Donc, oser ne pas croire ou ne plus pouvoir croire est extrêmement embarrassant.

        Ce n’est pas une posture, ce n’est pas un choix. Cela s’impose à l’individu dans le questionnement de son rapport au monde et à l’autre, dans la prise de conscience et le constat de l’amoralité de la nature mais aussi de l’immoralité de l’homme.

        La crainte fondamentale de celui qui ne peut plus croire est centrée sur la mort et le risque d’être traversé par la pulsion de mort, ce que les innommables crimes contre l’humanité lui jettent à la figure. S’identifiant à la victime souffrante, il ne peut éviter de penser qu’il pourrait bien aussi être le bourreau !  Sa crainte est d’être l’exclu, le paria, l’excommunié en ne se conformant pas à ce qui reste une incontournable référence, même pour lui : croire en un dieu ou un quelconque principe déterministe.

        Il est dangereux de créer. Prendre cette voie, c’est accepter d’ouvrir en soi des plaies en s’exposant à la mort agissante, telles les momies sorties de leurs sarcophages. C’est aussi révéler le réel du monde en se décalant pour mieux le rendre visible.

       Il est donc nécessaire, pour se protéger de tous ces dangers, de trouver une autre forme de croyance. Il s’ensuit parfois un aveuglement dans des convictions étranges qui traversent l’objet et la théorie qui l’accompagne.

        L’inventeur, le créateur deviennent alors le centre d’un monde… et le risque est que ce monde, se refermant sur son objet, prenne un caractère narcissique et délirant, comme l’avait exprimé et orchestré Salvador Dali avec la mise en scène de son ego créateur dans sa méthode paranoïa-critique :  «La systématisation la plus rigoureuse des phénomènes et des matériaux les plus délirants, dans l’intention de rendre tangiblement créatives mes idées les plus obsessivement dangereuses. Cette méthode ne fonctionne qu’à condition de posséder un moteur mou d’origine divine, un nucléus vivant, une Gala – et il n’y en a qu’une.»

         C’est aussi ce que vivent d’autres, moins connus, dans le sérieux de leur délire tel ce patient qui m’a exposé et a publié une théorie de la religion originelle utérine et caverneuse prenant sa source dans le labyrinthe de Gortyne, en Crète et réactivant le mythe de l’Atlantide.

         Chacun de nous, psychiatre ou non, a en tête ces théories fascinantes et vertigineuses qu’un jour, quelqu’un nous a déversé sans reprendre son souffle tellement il lui fallait emporter l’adhésion et le partage inconditionnel de sa conviction.

          L’autogénèse ou autoengendrement est l’ultime expression de cette quête narcissique. Le créateur entretient alors sa croyance dans la superposition de la naissance de son objet et de lui-même. Il trouve ainsi, comme un dieu, la possibilité d’exister sans histoire. L’inventeur est alors pris dans le cercle d’une répétition aussi cruciale qu’obsédante ou dans une spirale vers l’absolu. Il n’est pas besoin de rappeler qu’inventer, créer ou théoriser expose au risque du délire. Le créateur se met en danger. Le monde a aussi besoin de cette folie pour avancer !

 

Chemins de la connaissance et passerelles

 

        Certains créateurs (Alberto Giacometti, Zao Wou-ki, Sartre, Freud... voir les articles correspondants sur le site) bouleversent la connaissance dans la culture occidentale. Ils permettent la proposition de passerelles transculturelles qui offrent à l’être disponible une possibilité de migration et de distanciation.

  • Il n’est pas question d’atteindre une vérité ultime et universelle.
  • Il n’est pas question d’un refus des références symboliques fondamentales.
  • Il s’agit d’une mise à l’épreuve de la capacité de ces références à être malléables et vivantes.

      Même les sciences dures côtoient l’irrationnel et y puisent leurs hypothèses. Il suffit pour s’en convaincre de parler avec un astrophysicien ou un physicien de l’atome.

        Ces passerelles se ferment lorsque la vérité devient dogmatique ou militante, voire politique, considérant toute contestation de cette vérité promulguée comme un acte terroriste.

        Certains chemins vers la connaissance laissent apparaître des divergences majeures :

  • penser avec ou sans dieu, avec ou sans déterminisme à priori,
  • explorer le vaste champ d’une représentation du monde préfigurée ou accepter de mettre à l’épreuve le savoir pour accéder à la connaissance,
  • avoir la conviction d’une unité de l’être qui prend place dans un univers peuplé de mythes ou au contraire penser sa division, l’être étant lui-même peuplé de ses démons…

        Ces voies antinomiques compliquent singulièrement les rencontres. La violence guette, à moins de se retrouver dans l’espace flottant d’une méditation ou d’un sentiment océanique en rêvant l’être dans sa complétude, entre mystique et sagesse.

        L’approche phénoménologique, par son attention ouverte au monde, tente de mettre entre parenthèses le savoir constitué. Cette méthode permet de révéler l’étranger du phénomène et de l’évènement qui garde alors ses potentialités de sens. Elle prend en compte la subjectivité du chercheur ou du thérapeute pour alimenter son explicitation.

        Par cette exigence, elle peut faciliter les passerelles entre les cultures en dégageant des axes  porteurs de sens commun. La phénoménologie peut même ne pas exclure un dialogue antagoniste en trouvant sa validité et son enracinement existentiel, mais à condition que les protagonistes tentent la mise en veilleuse de leurs préfigurations conceptuelles.

        Peut-on espérer mieux encore du brassage des cultures avec ses migrations accélérées et la communication par Internet pour tendre les passerelles et, qui sait, enfin se comprendre ?

Il s’agit, par exemple

  • de la communication en temps réel entre les hommes,
  • de la confrontation des données actives et fondamentales des cultures,
  • des échanges intellectuels au sein de groupes transculturels.

        Brassage, oui, mais à condition qu’ils ne soit pas complètement pris dans les rets de la globalisation. Ce brassage peut alors permettre un mouvement alliant compréhension et mutation entre les peuples et les êtres.

        C’est ainsi que certains d’entre nous passent au-dessus des frontières et des hauts murs que les humains savent si bien construire pour se protéger des autres autant que d’eux-mêmes.

© Thierry Delcourt         

La tentation du savoir, entre croire et connaître
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J
<br /> Je crois que dès l'enfance, la joie à acquérir de la<br /> connaissance guide nos pas sur le chemin de la vie.<br /> "CONNAIS-TOI TOI-MËME" est le fil conducteur.<br /> Etre libre, ce n'est pas ne pas pouvoir faire ce que l'on<br /> veut, c'est vouloir faire ce que l'on peut.J-P SARTRE<br /> <br /> <br />
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