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THIERRY DELCOURT

THIERRY DELCOURT

CARREFOUR ENTRE ART, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE. Recherche sur le processus de création et la capacité créative dans le soin et l'existence


Travail, contrainte, souffrance et harcèlement.

Publié par thierry.delcourt.over-blog.com sur 20 Septembre 2010, 20:38pm

Catégories : #culture - art et psychanalyse

Musee-Marc-Petit-067---Copie.jpgRésumé :

L’abord de la question du travail sur le plan métapsychique passe par l’analyse du développement de l’enfant dans son processus de socialisation complexe.

Les avatars multiples de ce développement vont générer des manifestations symptomatiques qui se retrouvent de fait dans le rapport au travail, creuset de la socialité.

Mais le travail, au-delà d’une vulnérabilité individuelle, peut-il être la source unique d’une décompensation psychique ? L’analyse des contraintes complexes et des microtraumatismes psychiques permet d’isoler des décompensations à expression symptomatique spécifique.

Cette analyse oblige à reconsidérer l’approche thérapeutique mais également la question du sujet dans ces situations de précarité, de néantisation et de victimisation judiciarisée.

La question du harcèlement, de son traitement social, constitue un paradigme de cette dérive du sujet pris dans un discours aliénant et qui n’a d’autre issue que de s’inscrire dans la plainte socialement recevable.

Le psychanalyste, à contre-courant du discours social aliénant dont s’empare le sujet en détresse, va devoir placer son patient en position douloureuse de donner sens à sa souffrance.

                                                                 

Quelques propos glanés çà et là :

 

« Papa, çà veut dire quoi, travailler ?  Pourquoi tu travailles ?  Pourquoi tu ne restes pas avec moi, à jouer ?  Pourquoi t’es toujours énervé quand tu rentres de ton travail ? Maman, elle dit que ton chef, il est pas gentil ! Pourquoi t’as un chef ? Moi, c’est moi le chef, et si y-en a un qui m’embête, je lui donne un grand coup de pied. »

 

Et le père de dire : « çà, c’est la question qui tue : c’est quoi le travail, c’que j’sais, moi ?

Est-ce que j’me la pose, c’te question ? Un lundi matin, en plus ! Va t’habiller, Kevin, tu vas être en retard à l’école. »

 

Et le gamin de continuer à agacer proprement son père : « J’veux pas aller à l’école. Pourquoi il faudrait toujours que j’aille à l’école ? Si j’ai pas envie, j’ai pas envie. J’veux jouer, et pi j’aime pas l’école ! »

 

Pendant ce temps, le chef de papa se prépare aussi, dans sa maison feutrée, mais il est moins pressé. Alors sa fille, Constance, s’impatiente et lui dit : « Papa, je vais être en retard, dépêches-toi, la maîtresse, elle aime pas çà. »

 

Alors, oui, ces questions, il faut bien les poser :

C’est quoi, le travail ?

Quel lien est tissé entre l’humain et le travail ?

 

Rassurez-vous, mon propos ne va pas dérouler ces questions dans leurs implications multiples : sociopolitique, philosophique, ethnologique…

Je me contenterai, et c’est déjà très présomptueux, de situer ces questions dans la construction psychique de l’humain.

 

Cela nous oblige à préciser quelques données du développement de l’enfant.

Le processus de socialisation nécessite deux axes forts et liés :

                          L’ouverture au monde

                          L’acceptation des limites

 

Alors, on peut appeler çà bien autrement, mais je préfère vous éviter pour l’instant la complexité des termes et concepts qui s’y rattachent.

 

Ouverture au monde, acceptation des limites, çà veut dire que les pertes et sevrages du petit enfant vont être à la source d’un désir et d’une volonté d’atteindre, par de multiples détours, ce qu’il a perdu… et qu’il ne retrouvera jamais.

 

On pourrait penser que c’est mal parti, et pourtant, çà fonctionne au point que les humains sont capables de prouesses : le langage, l’amour, le beau, le bien … Mais aussi, et plus, peut-être, capables du pire dont je vous épargne la triste liste.

 

Cette socialisation contient dés son germe la contrainte, productive d’un effort pour accéder à l’existence et payer sa dette.

 

Constance est bien entrée dans le canal… Kevin semble quelque peu résister, mais çà ne préjuge pas de leur avenir respectif… En terme d’existence au moins.

 

On peut dire : Si l’enfant n’est pas prêt, n’est pas préparé, ou si les pertes et sevrages sont abrupts et traumatiques, il va souffrir psychiquement dans ce passage imposé.

 

Et là, nous pouvons remonter très loin. Vous connaissez le célèbre  « tout se joue avant trois ans ». Sans vouloir vous décourager, on peut pousser jusqu’à   « tout se joue dés avant la conception ». Je veux dire que le bagage socio-culturel, transgénérationnel  est aussi fondamental pour poser une existence, ou l’empêcher, que ce qui se joue après la naissance.

Avec une mention spéciale pour la conception nommée et inscrite dans la filiation, ses avatars et ses secrets mortifères.

 

Cela dit sans pessimisme et sans négation des possibles réparations, mais sans voguer non plus sur la barque résiliente de Cyrulnik.

 

Pour réussir cette socialisation, il faut qu’à une perte imposée soit associée une accession.

Et cela va du sevrage du sein, de la position de toute-puissance narcissique, de l’accès à la propreté, jusqu’à la séparation, l’intégration scolaire etc…

 

C’est toujours un chemin difficile, même pour Constance qui anticipe la canalisation sans faire de vague. Un jour, peut-être, elle viendra nous voir, anorexique, et l’on devra dérouler une histoire oh combien plus compliquée qu’elle n’en avait l’air.

 

La grande majorité des consultations pédopsychiatriques sont liées à ces souffrances en contrainte de socialisation… Et les aléas du travail scolaire constituent un symptôme dominant.

 

Il faut bien dire que c’est un marché de dupe qu’on lui propose, bien enveloppé, à cet enfant :

« Je t’échange ton baril de mère contre un baril de puéricultrice ! »

« Je t’échange ta jouissance narcissique contre l’apprentissage des belles choses de ce monde. » Pour le dessin, passe encore, mais quand on entame l’écriture, l’orthographe, les tables de multiplication et tout ce qui se décline ensuite, pour certains, c’est trop.

 

Rébellion, angoisse, conduites d’échec, inertie déguisant le refus en guise d’appel à revoir les termes du marché : Ce qu’on trouve là chez l’enfant, on le retrouvera plus tard dans le rapport au travail.

 

Le rapport au monde passe par la contrainte et par la confrontation à l’Autre.

Le rapport au monde est conflictuel.

Le rapport au travail est ouvertement ou secrètement conflictuel.

Le marché de dupe du développement psychique amène avant tout à renoncer à être l’unique objet d’amour, pour ceux qui ont eu la chance d’en avoir l’illusion.

Pour les autres, malvenus, il s’agira de se faire accepter, et si on l’est, de se faire aimer… Vous mesurez là l’immensité d’une demande qui peut s’exprimer dans le travail… Et donc l’immensité des déceptions et des répétitions mortifères qui peuvent s’y jouer.

 

Il y a des renoncements qui sont définitifs, lorsqu’ils viennent redoubler un passé traumatique qu’un sujet précaire avait tenté de réparer.

 

Se faire accepter, se faire aimer, suspendu au regard de l’autre. Anticiper ses demandes afin d’éviter que ce regard ne soit habité par le rejet tant redouté… Vous mesurez l’extrême fragilité et précarité de l’être dans cette attente de reconnaissance et d’amour… Vous mesurez ce que peut en faire celui qui a conscience de son pouvoir sur cette crevette.

Il va pouvoir libérer une haine contenue depuis qu’il a du renoncer, lui, à l’illusion de sa toute-puissance narcissique.

 

Quand tout se passe bien - mais si, çà arrive -, l’accès au désir passe par le dédale de sa formulation sociale et culturelle.

Nous allons donc trouver :

                 Au mieux, la sublimation, c'est-à-dire la transformation du désir par le déplacement d’objet vers le culturel, le créatif… et le travail y  sa place.

 

                 En beaucoup moins bien, les formations réactionnelles, illustrations du conflit et de l’ambivalence des motions inconscientes dans leur dualité au sein de l’individu. Individu, si mal nommé, car en permanence confronté à sa division.

Ni le sujet, ni l’autre ne s’y retrouvent, et c’est là une source essentielle des conflits humains et des souffrances au travail.

 

Les exemples ne manquent pas : mille égards pour celui que j’écraserai bien, sollicitude qui cache la haine, morale et vertu qui n’empêcheront pas l’infortune des perversions cachées.

Ce que je vous dis là n’a rien à voir avec la dichotomie officielle entre les victimes et les bourreaux, les harcelés et les harceleurs… Il est de saintes victimes plaintives qui cachent des sorcières endiablées.

 

                Au pire, enfin, les symptômes plus ou moins organisés en pathologies dont les principales qui vont nous intéresser sont les névroses et les perversions.

 

En général, cette socialisation va s’appuyer sur des étayages complexes et précaires, dont le sujet n’a pas conscience.

Ses messages, son comportement chargés de cette complexité et d’une forte ambivalence vont produire du trouble social.

Notre discernement, éminemment subjectif, doit toujours tenir compte de cette complexité.

 

 

Le travail commence dés la maternelle. J’ai reçu récemment un enfant de la section des moyens, soit à l’age de 4 ans, parce qu’il travaillait mal ! La réforme actuelle va dans ce sens d’un apprentissage cadré au détriment de la découverte et du jeu.

Ce qui veut dire que le processus de sublimation, qui s’appuie principalement sur l’appropriation du jeu créatif, va laisser place à une domestication majorant les symptômes et les formations réactionnelles.

Nos alchimistes des ministères ne craignent pas de produire un être inconsistant qui perd l’accès à l’existence.

 

Revenons à nos enfants actuels pour préciser quelques fixations pathologiques :

          La naissance d’un puîné, par exemple, oblige parfois à des formations de compromis très tordues. « Je te possède, je fais de toi ce que je veux. C’est à cette condition que je t’accepte. » Et l’on assiste à l’installation de comportements sadomasochistes qui se pérennisent, et se répètent dans la vie sociale, autant pour l’aîné que pour le puîné.

 

          La double contrainte. « Viens ici, fous le camp. » « Tu es libre, mon chéri. » « Tu sais, c’est pour toi que tu travailles. Moi, çà m’est égal. »  Tout y passe dans la complexité d’un message aliénant. L’objet, c'est-à-dire l’enfant assujetti, est à la merci de l’autre parce qu’ il n’a pas accès au décodage de la destructivité.

Au pire, c’est le syndrome de Münchhausen par procuration, mais à y regarder de près, certaines formes de harcèlement au travail n’en sont pas si éloignées. Je pense, par exemple, à certaines entreprises familiales.

 

Ces deux exemples illustrent comment des défaillances narcissiques imposées peuvent être la source d’aberrations comportementales auto ou hétérodestructrices dans la vie sociale.

C’est une répétition morbide où il s’en faut de peu que l’on verse du coté du déchet ou du sournois revanchard.

 

Le travail, au-delà d’une vulnérabilité individuelle, peut-il être la source unique d’une désorganisation psychique ?

Quelles seraient alors les particularités de cette désorganisation ?

 

De quelle vulnérabilité s’agit-il ?

Développementale, comme nous l’avons vu.

Mais aussi ponctuelle, attenante à un moment de vie.

C’est l’exemple du pompier qui, habituellement résiste aux situations dramatiques, et va vivre un jour pas fait comme un autre, cette collision entre une situation d’urgence et la réminiscence parfois impalpable d’un évènement de vie. L’écho événementiel entraîne une situation traumatique, soit une effraction à laquelle les mécanismes de défense usuels ne résistent pas

 

Parlons de ces effractions :

              Effraction originaire : La faille au minimum existe comme trait de refend du sujet, pour nous tous. C'est-à-dire notre division et l’inaccessibilité à notre inconscient.

C’est notre lot incontournable qui inscrit une vulnérabilité de fait.

 

               Effraction provoquée : Le coin enfoncé dans cette faille par un évènement ou des microtraumatismes va mettre en péril l’existence d’un sujet jusque là bien campé.

Le coin, ce sera, par exemple, un processus de désubjectivation comme le travail sait en produire. Le repérage peut se faire très schématiquement par une équation à trois entrées :

Q  la quantité de travail

R  la reconnaissance

M  la maîtrise de la tâche…  Le pire étant bien sur, un Q élevé, un R bas et un M inexistant.

C’est l’exemple fréquent des caissières de supermarché.

 

            Plus grave : Le coin enfoncé peut ouvrir un gouffre, sur une vulnérabilité faible. Autrement dit, la fabrique du trauma là où rien de l’être n’y prédestinait.

Burn out, Karoshi, troubles musculosquelettiques, syndrome post-traumatique et dépressions.

 

Un mot de ces dépressions :

Dépressions au pluriel, car ce fourre-tout fin de siècle mérite une attention particulière, tant sur le plan symptomatique que dans sa signification pathologique.

Schématiquement, on pourrait différencier :

Dépression par épuisement, de celui qui tient l’intenable, au besoin avec un doping, y compris le mésusage des antidépresseurs.

Dépression par effondrement, par destruction des repères entraînant désubjectivation et trouble identitaire.

Dépression par dévitalisation, en relation avec l’ennui du placard ou la précarité d’un intérim épisodique, source d’une inexistence.

 

Il y aurait là beaucoup à dire puisque l’atteinte peut porter sur les mécanismes de défense, l’identité et la structuration du moi.

 

Petit exemple des dispositifs de souffrance dans le travail :

                 Il est possible d’user des points de fragilité de l’être, de sa demande d’amour et de reconnaissance.

 

 

Qui en use et en abuse ?

Un individu en position de maîtrise.

Mais aussi les systèmes : Certaines stratégies managériales, une organisation scientifique du travail (O.S.T.) déshumanisée, au service de laquelle se sont mis des experts psychologues, détournant diaboliquement les recherches en sciences humaines.

Que se passe-t-il  alors, quand un sujet est aux prises avec ces dispositifs?

Bien souvent :

Une narcissisation illusoire : doping, « tu es le meilleur »

Une désubjectivation sous-jacente : « tu n’es qu’un exécutant. Si je veux, je te jette. D’ailleurs, je vais le faire puisque tu la ramènes. »

Cadre recadré puis déchet, effaceur effacé : Vous savez, celui qui se charge d’une restructuration en coupant les branches non rentables pendant que l’on est en train de couper celle sur laquelle il est assis. Plus dure sera la chute.

 

Autre exemple :

La précarité entretenue est en soi une source potentielle de souffrance identitaire.

Les ressources de l’activité sublimatoire, créatrices, sont alors coupées.
Ce vers quoi l’on tend, faire de l’être en (se) réalisant, vient mourir dans un désert.

 

Image de soi défaite, effondrement, avec son lot de suicides et de passages à l’acte violents.

Nous savons que cette précarité peut être orchestrée comme outil d’aliénation productive.

Mais le calcul est-il bon au plan productif de rabattre l’homme à un objet ou un kleenex.

Pour ce qui nous concerne, au plan humain, c’est un désastre… et un crime au sens pénal.

Il faut le dire !

 

Alors, l’évolution actuelle oblige-t-elle à repenser la question du sujet ?

Le débat est déjà bien lancé dans les champs psycho et sociologiques.

 

Est-il nécessaire d’élaborer et d’utiliser un  « psychodynamique du travail » spécifique, en y

incluant d’autres formes hybrides de décompensation, y compris psychosomatique et pseudodémentielles ?

 

Est-il possible de réintroduire de l’être au monde face à cette désaffectation, cette objectivation, cette virtualisation, face à cette facticité qui rend l’humain si inconsistant,

mais aussi si fragile ?

 

On assiste à des tentatives dangereuses de réintroduire du sujet : Les conduites extrêmes individuelles et collectives, les passages à l’acte et mise en scène de violence.

 

Si même cette voie est fermée, on peut constater des expressions psychosomatiques parmi les plus graves, et, plus récent, des altérations cognitives avec paralysie de la pensée, de la mémoire, et même des formes confusionnelles et démentielles.

 

Pour terminer, un mot du harcèlement :

 

Le harcèlement, comment çà se met en place sur un plan psychique ?

Quelle part du harcèlement est induite par le mode relationnel de la dite victime ?

Quel est son rapport à l’autorité, à la contrainte inhérente au travail, et à la frustration ?

Quel rôle va jouer le psy, s’il propose un soin ; et va-t-il s’impliquer dans l’avenir professionnel de son patient ?

 

Nous avons déjà en partie éclairé ces questions. Reste à préciser notre position de thérapeute.

Je ne parlerai que de ceux qui consultent.

Nos patients sont toujours les victimes ou qui se disent tels.

Comme toute plainte, celle d’être harcelé doit être décryptée dans sa signification de demande et sa place dans l’organisation psychique.

La médiatisation forcenée du harcèlement, de la victime, et l’implication juridique de réparation nous oblige à une extrême vigilance quant à ces allégations. D’autant que le discernement doit porter également sur l’origine duelle ou systémique du harcèlement.

 

En effet, à trop vouloir désigner un bourreau, le dit pervers narcissique, on en oublie un système qui peut induire par son fonctionnement un vécu de harcèlement.

Le harcèlement managérial, bien sur, trouve des relais humains « toujours prêts », scouts ou capos. L’O.S.T. n’exclue pas la jouissance de ceux qui sont instrumentalisés, que cette jouissance soit sadique ou masochiste. J’y inclus les harcelés dans une dialectique maître-esclave.

Donc, poser à priori la question du harcèlement au niveau individuel permet de faire l’économie de sa mise en perspective sociale et politique.

Il est impératif, pour les soignants, y compris les médecins du travail, de ne pas s’engouffrer dans ce piège de l’individuel, et par là même de se piéger comme instrument d’une paix sociale au profit d’une O.S.T déshumanisante. Je pense, par exemple, à l’usage qui peut être fait de l’inaptitude. Inaptitude salutaire pour un patient en grande souffrance sans issue, mais en sachant que cela complique singulièrement le processus de reconstruction psychique.

Inaptitude parfois salutaire pour l’entreprise qui fait ainsi l’économie de régler les vraies questions : celle du harceleur ou celle du système en place.

En effet, l’individu soumis à la pression permanente de la rationalisation productive de son travail, perd sa capacité de penser et d’agir. Il ne peut donc plus élaborer les défenses nécessaires pour lutter contre les contraintes et les agressions.

 

Le collectif dégradé n’est plus un étayage possible pour l’individu, et n’assure plus le soutien minimum pour lutter contre les agressions.

C’est cette solitude extrême que nous disent nos patients, quand ils viennent jusqu’à nous.
Et vous savez la courbe en croissance exponentielle des demandes de soins psychiatriques.

La souffrance au travail y vient en bonne place.

 

Ceci dit pour poser la question du harcèlement dans ses deux dimensions :

D’une psychopathologie individuelle.

Du processus déshumanisant  du travail.

 

Et donc, permettre de tempérer les ardeurs militantes, et ce qui s’y engouffre de pathos :

                Cristallisation du statut de victime

                Diabolisation de la contrainte et de l’autorité.

On devient vite harceleur, parfois par un simple rappel à l’ordre… ou un refus.

                Réactualisation du trauma, qui domine la scène « médiapsy » gommant toute dialectique entre désir et évènement.

 

Cette approche que je vous suggère, doit permettre au psychothérapeute vigilant et pensant,

de mettre en place une dynamique de transfert singulière. (Le transfert est notre outil thérapeutique principal, et constitue un adossement fondamental pour permettre une parole libératrice à nos patients.)

 

Ce transfert sera douloureux. Le thérapeute se doit d’entendre au-delà de la plainte de harcèlement, ce qui en a fait le lit. Il va donc mettre en question le dire du patient, à

contre-courant de ce qui lui plait à entendre.

Ceci n’empêche pas la reconnaissance par le thérapeute, d’une souffrance authentique. Ni n’empêche la reconnaissance du fait que quelqu’un a pu l’induire jusqu’à mettre en péril le sujet.

Mais notre navigation dans le transfert va aller du traumatique au symptômes et formations réactionnelles préexistantes.

Rester dans le trauma ne réintroduit pas de l’existence.

Tenir, nous, thérapeutes, un temps, la place du harceleur dans le transfert en acceptant cette position inconfortable, va permettre que se rejoue le piège dans lequel cet être était prêt à tomber.

 Au-delà même, ce qu’il induisait de ce piège par l’ambiguïté de sa demande à l’autre : soif de reconnaissance, recherche d’un maître, répétition morbide d’un rapport masochiste.

 

Musee-Marc-Petit-052---Copie.jpgCet abord thérapeutique ne peut se dire et se vivre qu’à condition d’un accueil de la souffrance du patient et d’une réelle présence du thérapeute.

Celui-ci va, par un cadre contenant, assurer que, ce qui se rejoue sur la scène imaginaire ne peut prendre corps dans la réalité. Et donc, thérapeute, nous n’allons jamais exercer un quelconque sadisme face à un sujet qui s’y offre. Nous allons simplement lui permettre de nous voir tel ou presque, car il a besoin de se duper, pour dénouer sa répétition mortifère.

 

Dans ce cadre contenant et éclairé vont pouvoir s’exprimer :

La réalité traumatique du harcèlement qui peut, nous le savons, toucher n’importe qui et y opérer une faille destructrice.

Mais aussi, tous ces avatars du développement que j’ai évoqué au début de mon exposé, qui constituent les brèches ou s’engouffrent le harceleur, au point d’être parfois une invite à maltraiter.

 

Nous connaissons bien ces patients qui anticipent les demandes de leur chef, comme ils l’ont fait avec leurs parents et leur maître d’école, qui ne peuvent s’opposer à une quelconque demande, y compris de harcèlement sexuel. Leur quête apparemment insensée va les amener à tout accepter, jusqu’à l’effondrement victimaire.

Le transfert va permettre que le désespoir et la haine s’expriment, mais surtout obliger à franchir ce deuil indispensable à toute vie adulte, d’être l’objet aimé… Et cela qu’il le fut ou non, aimé. Le dénouement transférentiel passe donc par cette réactivation de la perte, autour de ce qui est communément nommé complexe de castration.

 

 

Il est une autre pathologie que nous connaissons moins : Des patients, produits de notre ère dite post-moderne, incapables d’accepter la frustration, l’autorité, et qui vivent la moindre contrainte comme harcèlement. Le temps imparti m’oblige à survoler cette question essentielle.

Thérapeutes, nous sommes déroutés, obligés de repenser nos approches théoriques et pratiques face à cette mutation sociétale. Cela fera peut-être l’objet d’une prochaine journée ARDPF.  

 

Je terminerai en tentant d’éclairer un certain flou dans mes propos, quant à cette place d’où j’entend et essaie de comprendre ces patients.

 

Ils viennent voir, pour la grande majorité, un psychiatre, adressés par le médecin du travail ou le médecin traitant. Ils vont donc recevoir des soins psychiatriques, y compris un traitement médicamenteux psychotrope, souvent nécessaire.

Ils vont surtout chercher un lieu d’écoute, et attendent une parole salvatrice.

Ils doivent trouver un accueil de leur plainte et de leur souffrance, et pas seulement dans une posture d’écoute, mais de réelle présence et d’accompagnement.

 

C’est à condition de cet accueil qu’un être blessé psychiquement peut élaborer avec notre aide une reconstruction du tissu de ses défenses psychiques.

Mais, la vigilance du psychiatre psychothérapeute, au fait des processus psychopathologiques, va saisir cette opportunité pour offrir à son patient la possibilité d’y comprendre quelque chose, et surtout de ne pas retomber dans les pièges d’une répétition morbide.

 

Et c’est là qu’intervient l’apport psychanalytique, non seulement comme accès à une compréhension des mécanismes d’aliénation, mais aussi dans une utilisation concrète.

Le cadre et le transfert bien posés et éclairés en font partie et restent opérants, même si la pratique n’est pas orthodoxe aux yeux des psychanalystes purs et durs.

 

Il serait irrecevable pour ces patients d’entrer d’emblée dans une psychanalyse, mais il est, à mon avis, impensable de les priver d’un tel recours dans le dénouement thérapeutique.

Ma position, confortée par l’expérience et partagée par un certain nombre de confrères psychiatres-psychanalystes, oblige à une grande vigilance… Celle de ne pas occuper la place du savoir, cette toute-puissance du maître, propice à pérenniser les mécanismes en jeu dans le harcèlement.   

 

© Thierry Delcourt

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J
<br /> Peu sont nombreux à effectuer un travail qui leur plaît,<br /> pour les autres c'est un travail "alimentaire" dans<br /> l'attente avide de la retraite. Les entreprises réduisent<br /> les effectifs, régionalisent et jouent de la précarité<br /> d'emploi pour diriger, celui qui n'est pas content, il<br /> peut partir, nous ne sommes plus dans les trente glorieuses, aussi il faut faire avec, avec toute l'aide<br /> dont on peut disposer pour résister.<br /> Nous mourrons, c'est sûr, pas d'une guerre ou d'un nuage,<br /> "le stress" création de l'homme moderne viendra à bout de nous, welcome cancers, AVC, diabète.......<br /> <br /> <br />
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